Thomas Finkielkraut et Olivier Demangel, réalisateurs de la série « Kaboul » : « On a voulu suivre ceux qui vivent l’exil dans leur chair »
La chute de Kaboul, reprise par les talibans à l’été 2021, racontée en six épisodes. Cette superproduction publique européenne (France Télévisions, RAI, ZDF) réussie met en scène un casting exceptionnel qui l’a bien défendue au festival Séries Mania. Nous y avons rencontré Thomas Finkielkraut et Olivier Demangel, ses créateurs et scénaristes.
Il y a énormément de rapports, de témoignages sur la chute de Kaboul… Comment choisit-on ceux qu’on va utiliser pour construire un récit ?
Thomas Finkielkraut : Comme c’est un événement contemporain, les sources ne manquaient pas. On a cherché des histoires qui se rapprochaient le plus de notre scénario initial, des trajectoires humaines. Et on avait un coordinateur d’écriture qui a beaucoup travaillé à la condensation de ces informations.
Olivier Demangel : C’est une fiction, pas un documentaire. Il fallait se mettre à distance de ces informations. À trop coller à la réalité, on peut vite être noyé dans le flot. Quelquefois, la fiction peut devenir plus vraie que la réalité : elle synthétise, et ça donne un précipité du réel mieux transmissible au public.
Qu’est-ce qui était assez saillant pour vous permettre de dérouler le fil des événements ?
Thomas Finkielkraut : On est parti de la situation de l’ambassade de France assiégée, du chef de la sécurité contraint à des choix difficiles… Après, c’est une série écrite par des Français, produite en Europe, mais c’est une histoire afghane. On voulait suivre ceux qui vivaient l’exil dans leur chair, donc un point de vue afghan.
Olivier Demangel : Raconter cette tragédie ne pouvait pas uniquement se faire du point de vue occidental. C’est pour cela qu’on a placé cette famille afghane au cœur de notre série. Pour revenir sur la construction du récit, on savait dès le début que l’aéroport serait le point de convergence. Il fallait que tout nous y ramène. La mère, par exemple, est procureure, dans le viseur des talibans.
On aurait pu se dire : « Elle prend un taxi et elle file à l’aéroport », mais il fallait complexifier pour montrer à quel point cette évacuation était difficile. À l’inverse, pour la fille, fiancée, sur le point de devenir médecin, c’est la décision de s’exiler qui est difficile. C’est avec elle qu’on arrive à l’aéroport, au moment de l’attentat qui a clôturé l’évacuation puisque à partir de là, les Américains qui le contrôlaient en ont vraiment fermé les portes.
Ce n’est pas au hasard que vous avez choisi les profils de cette famille…
Olivier Demangel : Non. La mère est magistrate, la fille médecin, le fils soldat a travaillé avec la CIA : tous ont des raisons d’être ciblés par les talibans.
Pour nourrir ce point de vue afghan, vous avez rencontré des témoins directs ?
Thomas Finkielkraut : On a rencontré des Afghans qui ont vécu la prise de Kaboul et ont pu partir. Puis on a recoupé avec des reportages, des podcasts…
Olivier Demangel : C’est comme la guerre en Ukraine aujourd’hui, on a beaucoup d’images.
Thomas Finkielkraut : Et il y a quelque chose d’universel. On peut tous s’identifier à ces personnages. Évidemment, on part de la documentation, et puis en tant qu’auteur, on va écrire ce qui résonne le plus en nous.
Les situations vécues par les Européens sont-elles totalement fictionnelles ?
Thomas Finkielkraut : Celle des Français est presque entièrement vraie. Celle des Italiens s’inspire d’un personnage réel, Tommaso Claudi, le jeune diplomate propulsé consul malgré lui. C’est devenu une sorte de figure héroïque en Italie, parce qu’il a sauvé l’honneur. Il y a des images de lui plongeant dans la foule pour aller chercher des enfants, ce qu’on a voulu recréer dans la série.
Pour les Allemands, c’est différent : beaucoup d’avions sont revenus à vide, c’est une tache dans leur histoire, et ils s’en sentent coupables. Il fallait une figure héroïque pour tenter de l’effacer, à une toute petite échelle. Ce sera cette gradée du renseignement qui veut sauver un seul homme, le général afghan qui lui a sauvé la vie. Là on est moins documentés bien sûr, parce qu’on sait que des opérations de ce genre ont eu lieu, mais elles sont classées secret-défense.
Olivier Demangel : On ne voulait pas faire d’eux des super-héros. C’est avant tout une série sur l’exil, ce que c’est que de quitter sa terre. À ce titre, il y a une scène emblématique, quand la mère prend une poignée de terre avant de monter dans l’avion. Elle comprend qu’elle ne pourra vraisemblablement plus revenir dans son pays… Cette prise de conscience se fait aussi chez nos trois Occidentaux. Au début, ils sont en contrôle, et au fur et à mesure, la tragédie les rattrape et ils font face aux événements comme ils peuvent.
Kaboul, série, France 2, 21 h 10
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