TÉMOIGNAGES. "On pensait que c’était réservé aux livres d’histoire et ça fait très peur" : trois générations racontent leurs inquiétudes face à la menace d'une guerre
Le conflit en Ukraine, les tensions internationales croissantes et le retour de l'instabilité géopolitique ont ravivé les peurs de la guerre en Europe. franceinfo a recueilli le témoignage d'une famille de trois générations, qui habitent entre Toulon et Marseille. Un grand-père, un fils et un petit-fils, qui, bien qu'ayant connu la paix tout au long de leur vie, craignent aujourd'hui le retour d'un conflit mondial.
Les souvenirs de guerre remontent à l'enfance pour Guy, un homme de 72 ans. Ses histoires sont celles de son père, un militaire, qui lui parlait souvent d'embuscades et de batailles. Aujourd'hui, il ne reste de ces récits que des objets symboliques, comme la vieille carte de son père. "J'ai par exemple ici sa carte des anciens de la première armée française. Ils ont débarqué sur les plages de Saint-Tropez le 15 août 1944. Après, il a été militaire pendant la guerre d'Algérie", raconte-t-il, évoquant les souvenirs de son père.
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Bien que Guy n'ait pas servi dans l'armée, ayant été dispensé après la mort de son père, il conserve une carte jaunie de réserviste. "Je pouvais être rappelé comme tout le monde en cas de conflit, j'étais mobilisable", explique-t-il. Son fils Michaël, 48 ans, fait partie de la génération la plus éloignée du dernier grand conflit mondial. "On est quand même une génération, avec mon père, qui est la plus loin du dernier grand conflit planétaire. Cette génération-là, post-Seconde Guerre mondiale, n’a pas ressenti la notion de guerre."
Michaël a échappé de peu au service militaire, qui a été supprimé par Jacques Chirac en 1996, l'année où il devait partir. Une décision qu'il considère comme une libération. "Je me souviens de l’annonce. Je suis typiquement l’année où on est bercé dans l’illusion, maintenant, on peut le dire avec le recul. Ce qui a été dit par le président Chirac en 1996, c'est qu'il n’y avait plus aucun argument, dans ce monde moderne, que d’avoir la persistance du service militaire et d’appeler les jeunes à se former. J’étais complètement convaincu que c’était le cas", se souvient-il.
Le "choc" de l'offensive russe en Ukraine
Cependant, tout a changé pour Michaël avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie. "La claque. Ça, je m’en souviens, avec mon fils, on en avait parlé. C’était un choc", raconte-t-il. Ce moment a été un vrai basculement pour lui, un signal que la guerre, longtemps perçue comme un souvenir, pouvait de nouveau se rapprocher.
Le fils de Michaël, Alexandre, 20 ans, a également vécu ce basculement. "Je me souviens d'avoir à ce moment-là une prise de conscience que le cas d’une guerre était encore possible. On se rend compte que ce ne sont pas que les histoires de nos grands-parents, que ça peut arriver. Il y a de la peur, de l’inquiétude", confie-t-il. Alexandre raconte aussi avoir vu un ami d'origine russe recevoir un appel à combattre. "Il m’a montré le message en disant : 'Regarde, c'est fou, j'ai quand même reçu un message d’appel à la guerre'."
Une prise de conscience croissante face aux risques de guerre
Le seul rapport qu'il a eu avec l'armée, c'est sa journée d'appel qu'il a fait à 17 ans. Un évènement qui, selon lui, ne correspondait pas à ses attentes. "Je me rappelle, on avait eu une très grosse frustration parce qu’on s’attendait vraiment à avoir un miniservice militaire condensé en une journée, on allait se mettre sur le terrain et se rouler dans la boue alors que finalement, on s’est retrouvé assis sur une chaise pendant cinq heures", se rappelle-t-il. Alexandre considère qu'il est nécessaire de remettre en place une forme de service militaire, mais réajusté.
"Je pense que c’est une bonne chose de remettre en place et de revoir un service militaire, réajusté sur quelques semaines par exemple, parce qu’on ne peut pas non plus apprendre à manier des armes en trois jours."
Alexandreà franceinfo
En face d'Alexandre, son grand-père Guy se dit étonné par ce discours. "C’est inquiétant, cette prise de conscience qu’ont les jeunes. Parce que c’est l’Ukraine, ce n'est pas loin. Parce que des conflits avant qu’il y ait celui-là, il y en avait partout, on n'y pensait même pas. Quand mon fils était plus jeune ou même maintenant, je n'ai jamais pensé que la guerre pouvait le toucher, mon petit-fils encore moins. On pensait que c’était réservé aux livres d’histoire et ça fait très peur effectivement."
Face à cette menace croissante, Guy et Michaël sont d’accord sur un point : l’Europe doit réagir face aux tensions internationales. "Toutes ces alliances qui se défont, les Américains qui lâchent l’Europe, tout ça, c’est une sorte de coup de pied aux fesses pour l’Europe. Il ne faut pas qu’il y ait la guerre, mais il faut quand même qu’on représente quelque chose", plaide Guy. Michaël, lui, souligne que la crise actuelle, bien qu’anxiogène, représente une opportunité de créer des blocs équilibrés et stables. "Comme ils sont équivalents l’un par rapport à l’autre, personne ne va déclencher quoi que ce soit", conclut-il.