Sommet en Chine : derrière les sourires de façade, "une rivalité extrêmement forte entre la Russie et la Chine", souligne un spécialiste
"La relation russo-chinoise est très importante pour Moscou", estime dimanche 31 août sur franceinfo le sinologue Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS, alors que se tient à Tianjin, en Chine, le sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) jusqu'à lundi. Il réunit les chefs d'État et de gouvernement d'une vingtaine de pays, dont l'Inde, la Corée du Nord, l'Iran et la Russie.
franceinfo : La relation russo-chinoise est très importante pour Pékin ?
Jean-Philippe Béja : La relation russo-chinoise est très importante pour Moscou avant tout parce que Moscou est extrêmement dépendant de la Chine, notamment pour ses approvisionnements en biens de consommation, mais aussi en technologies, en drones, etc. Par exemple, Pékin qui avait de très bonnes relations avec Kiev avant la guerre, a légèrement distendu ses relations. Et rappelons-nous qu'à la veille de l'invasion de l'Ukraine, Poutine était à Pékin et Xi Jinping célébrait un partenariat sans limites entre la Russie et la Chine. Pourtant, cette relation n'est pas non plus exempte de contradictions. D'abord parce que pour la Russie, c'est extrêmement gênant de dépendre de plus en plus de la Chine. Ensuite, pour Pékin, c'est tout bénéfice, mais les Chinois sont très attentifs à ne pas aller trop loin dans un soutien ouvert à Moscou pour ne pas être victime des sanctions occidentales. Tout en étant très proche de la Russie, maintenant, Xi Jinping va sans doute se rapprocher aussi de Donald Trump. En fait, le succès de ce sommet vient essentiellement de l'arrivée au pouvoir de Donald Trump qui a complètement bouleversé les conditions de l'ordre international. Aujourd'hui, la Chine, qui était plutôt "disruptive", apparaît comme une espèce de havre de paix et de stabilité au sein de la communauté internationale.
On voit bien l'intérêt économique pour Pékin. Mais est-ce que le pouvoir chinois a un avis tranché sur la guerre en Ukraine ?
Officiellement, les Chinois condamnent toute remise en cause des frontières reconnues au niveau international. Mais en même temps, pour la Chine, la guerre en Ukraine est au fond relativement positive, car elle permet de concentrer les forces de l'Occident vers le front européen et donc de détourner un peu les États-Unis de leur conflit avec la Chine.
Le leader nord-coréen Kim Jong-un est attendu à Pékin mercredi pour une première visite en Chine depuis 2019. Il ne se rend pas à la réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), mais participe au défilé militaire chinois commémorant le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'est un allié de Pékin au même titre que le président russe ?
En tout cas, la Corée du Nord est aussi très dépendante de la Chine du point de vue économique. C'est pratiquement Pékin qui la maintient à bout de bras. Mais Kim Jong-un s'est beaucoup rapproché de la Russie en envoyant des troupes sur le front ukrainien. Xi Jinping essaye de le ramener plus près de lui. C'est là qu'il faut voir qu'en fait, les relations russo-chinoises ne sont pas si simples et ne sont pas exemptes de contradictions. Par exemple, sur le terrain de l'OCS, c'est-à-dire sur l'Asie centrale, il y a une rivalité extrêmement forte entre la Russie et la Chine. La Chine chasse sur des terrains qui étaient autrefois ceux de l'Union soviétique.
Est-ce que ce sommet à Tianjin est un succès pour Pékin ?
Il est à relativiser, ce n'est pas un succès aussi éclatant pour la Chine. Par exemple, le Premier ministre indien Narendra Modi est venu pour la réunion de l'OCS, mais il sera absent mercredi pour le défilé militaire chinois. Au fond, ceux qui sont réunis à Tianjin, ce sont essentiellement les partenaires de la Chine et ceux qui en sont largement dépendants. Et il faut se rappeler qu'il y a 10 ans, pour le défilé militaire du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le président algérien était présent à Pékin. Il n'y sera pas cette année.