Anne de Guigné : « La France démunie face à la crise économique qui vient »

La suspension temporaire des droits de douane « réciproques » annoncés par Donald Trump a redonné un peu d’air aux marchés financiers. Il ne s’agit pour autant en rien d’un renoncement. Le président américain entend bien mener jusqu’au bout son projet de guerre commerciale, qui devrait, espère-t-il, ouvrir la voie à une réindustrialisation des États-Unis.

Les économistes prévoient des répercussions sur toute la planète. D’ores et déjà, le climat de fortes incertitudes entretenu par la Maison-Blanche, comme les droits de douane sur l’automobile, l’acier et l’aluminium et les 10 % de tarifs sur tous les autres produits, pénalisent l’activité. La croissance mondiale devrait chuter cette année légèrement au-dessus de 2 %, son niveau le plus bas depuis la pandémie. Si le conflit virait à la guerre des changes, comme certains conseillers de Washington semblent le préconiser, il pourrait même déboucher sur une nouvelle crise financière.

La France est bien sûr exposée à ces soubresauts. Les 28 000 entreprises hexagonales qui exportent aux États-Unis seront pénalisées par ces hausses de barrières douanières, qu’elles soient de 10 % ou 20 %. Le gouvernement avait estimé que les tarifs, annoncés lors du « jour de la libération » de Donald Trump, pourraient amputer la croissance de 0,3 à 0,5 point de produit intérieur brut (PIB) chaque année. L’effet serait moindre si Washington concentrait sa fureur sur la Chine. Un tel bras de fer fragiliserait néanmoins ce qui reste encore d’industrie en France, par le canal de transmission des grands groupes allemands, très dépendants pour leur part de la demande chinoise.

Les nouveaux moteurs de la croissance

Avant même les annonces de Donald Trump, la Banque de France tablait sur une croissance morose de 0,7 % cette année, après l’avoir initialement envisagé à 1,2 % puis 0,9 %. Qu’attendre désormais ? Sans doute pas tellement mieux que du surplace. D’autant que la structure de la croissance française a changé depuis cinq ans. La création de richesse dans le pays est désormais portée par deux moteurs : la dépense publique et le commerce extérieur. Deux piliers fragilisés par la conjoncture actuelle. La guerre commerciale de Donald Trump s’apprête d’abord à mettre à la peine les grandes filiales françaises exportatrices. Quant à la dépense publique, à force d’avoir repoussé d’année en année tout effort de réforme, l’État français ne dispose plus d’aucune marge de manœuvre.

Le pays aurait besoin, dans cet environnement chaotique, d’un réveil de la consommation, pilier traditionnel de l’économie française, mais depuis le coronavirus, cette dernière est entrée en hibernation. La chute récente de l’inflation n’a rien changé à la tendance. Et ce n’est pas la crise géopolitique actuelle qui devrait inciter les Français à reprendre le chemin des magasins. Déjà particulièrement élevé en Europe, autour de 18 %, le taux d’épargne du pays pourrait même progresser encore ces prochains mois. Au-delà de l’irrationalité venue de Washington, les Français ont bien conscience du poids astronomique de la dette publique et du risque majeur de devoir un jour en financer la charge d’intérêt par de nouveaux impôts. Ils se préparent à cette éventualité en épargnant…

À force de repousser les réformes

La dégradation des finances publiques paralyse l’activité économique du pays, la privant du ressort traditionnel de la demande interne. Le gouvernement, comme tous les précédents, promet qu’il va s’attaquer à la question, tout en assurant financer des efforts de dépenses inédits dans la défense. La double injonction, complétée par une absence complète d’ambition sur les réformes, nourrit un certain scepticisme. Les économistes de l’OFCE estiment pour leur part que le déficit évoluera de 5,8 % du PIB, l’année dernière, à 5,5 % en 2025 puis 5,3 % en 2026, ce qui représenterait un sérieux dérapage par rapport aux prévisions envoyées à Bruxelles. Ces chiffres frappent par leur ampleur : avant même d’affronter la tempête, la France affiche déjà un budget de crise.

« On était passé de 3,5 % à 7,4 % de déficit en 2008, de 2,4 % à 8,9 % en 2020. Cette fois, on part de 5,8 %, pour aller à combien en cas de récession », s’interroge alors l’économiste Sylvain Catherine, professeur à Wharton. C’est bien là le drame français. Quelle que soit la conjoncture, l’État ne sait que dépenser. Au risque de se trouver, seul de son espèce, fort démuni quand la bise reviendra. Fin 2024, le déficit moyen dans la zone euro atteignait 2,6 %, contre 5,8 % donc pour la France. Si la guerre commerciale de Donald Trump vire au chaos, tous nos voisins pourront soutenir leur économie, contrairement à la France, qui n’aura d’autres ressorts que de décrocher encore un peu plus.