Un sac de luxe donne-t-il vraiment de l’allure ?

Caroline et Justine sont amies depuis la maternelle. Aujourd’hui quadragénaires, elles ont chacune des enfants, un travail prenant et un pouvoir d’achat confortable. Parisiennes, l’une habite sur la rive gauche, l’autre la rive droite. Deux choses les séparent : la Seine… et le prix de leurs sacs à main. Si Caroline, la brune, investit une bonne partie de son budget shopping dans des modèles de marque (de 3 000 € à 4 500 €), Justine, la blonde, consacre plutôt ses deniers à s’acheter « un beau manteau en hiver et une veste bien faite en été. Pour les accessoires, je chine tout sur internet ou en vide-greniers et, aux grands noms de la mode, je préfère les sacs de grand-mère sans griffe. Pour une dizaine d’euros, ils font très bien le job ! »

Ce n’est même pas le prix du fermoir du 2.55 de Chanel que Caroline s’est offert avec son premier gros bonus ! C’était il y a une petite décennie et, depuis, sa collection de « it-bags » s’est agrandie : un Lady Dior et un Bobby de Dior, une besace Celine de l’époque de Phoebe Philo et sa dernière acquisition, un petit format tressé de Bottega Veneta. Une maroquinerie ultra-quali, coûteuse et de bon goût, car cette associée dans un fonds d’investissement n’est pas du genre à étaler ses logos. « Je trouve qu’un beau sac donne du chic à n’importe quelle tenue, même la plus décontractée. Ils sont mes meilleurs alliés dans les moments où je veux paraître sophistiquée sans faire d’effort particulier. Et puis, sans tomber dans le bling, ils projettent un message statutaire comme une belle montre pour un homme. » Ce qu’elle nous confiera aussi plus tard, c’est qu’acheter un sac a le mérite de « satisfaire (s)es pulsions d’achat et (s)es envies de changement tout en (s)’épargnant la case cabine d’essayage et la déception de ne plus pouvoir rentrer dans (s)on 38 habituel»

Kate Moss porte le City de Balenciaga et le Birkin d’Hermès, en novembre 2024 Balenciaga

Loin de nous l’envie d’opposer ces amies d’enfance. Mais à l’heure du it-bag à durée limitée et des réseaux sociaux devenus arbitres des élégances, le sac de luxe concentre-t-il tout le chic d’une tenue ? Une question existentielle que nous avons posée, la semaine dernière, au premier rang des défilés, pendant la semaine de la haute couture. « Comme son nom l’indique, un accessoire est accessoire, la star de l’allure doit toujours être le vêtement, affirme Brune de Margerie, directrice de la mode du magazine Elle. Une belle veste bien coupée, un beau manteau Max Mara, ce genre de valeur sûre, d’indémodables, il n’y a pas plus élégant. Et, quoi qu’on en dise, même le sac le plus luxueux n’empêche pas les fautes de goût. Personnellement, j’ai toujours préféré les pochettes, plus discrètes et donc plus raffinées ! »

« On peut faire illusion avec un jean, un cachemire bon marché, le cliché de la Parisienne. Mais un sac cheap, ça se voit tout de suite »

Beverly Sonego, Fondatrice de Monogram Paris,

Dans le temple de la mode que sont les Galeries Lafayette, on ne dit pas autre chose. Kamola Narzieva, une des personal shoppers du grand magasin parisien, conseille « les femmes pressées, cadres dans de grandes entreprises qui ont les moyens, mais pas le temps de faire du shopping. L’objectif n’est surtout pas de les pousser à acheter un sac sous prétexte qu’elles peuvent se le permettre, explique la délicate jeune femme entre deux rendez-vous. Mon métier consiste à apporter un regard global sur le dressing de mes clientes et de les orienter avant tout vers des produits de qualité en lien avec l’utilisation qu’elles vont en faire et leur personnalité. » Alors, l’experte ne mâche pas ces mots : « Un sac Saint Laurent ne rendra pas élégante une tenue Zara. Sur les réseaux sociaux, tout un tas d’influenceuses font croire à leur communauté qu’on peut être stylée avec un look acheté dans une enseigne de fast fashion, rien qu’en arborant un sac de luxe. La vérité, c’est que ces femmes ont surtout l’habitude de s’habiller, savent choisir ce qui leur va et les mettre en valeur. L’élégance n’est pas qu’une histoire de marques. C’est un ensemble. Chaque élément de la silhouette a son importance et doit être choisi avec soin. »

Beverly Sonego, la fondatrice de Monogram Paris, spécialiste du sac d’occasion, considère, au contraire, qu’« un it-bag donne plus de caractère à une tenue qu’un modèle lambda. On peut faire illusion avec un jean, un cachemire bon marché et des créoles fantaisie, le cliché de la Parisienne. Mais un sac cheap, ça se voit tout de suite. C’est d’ailleurs sur ce principe que j’ai monté mon business. » Et c’est un succès. « Les modèles qui ont le plus la cote sur ma plateforme sont le Birkin d’Hermès (créé par le sellier pour Jane B. en 1983, NDLR) et le 2.55 de Chanel (imaginé par Coco en 1955), ils se sont même vendus près de 60 % plus cher en 2024 que l’année précédente. Le Lady Dior, le Speedy et le Neverfull de Louis Vuitton sont aussi très cotés notamment par des clientes plus âgées qui a priori vont les garder. » Alors que, selon l’experte, les plus jeunes qui ont beaucoup cherché, ces derniers mois, le Baguette de Fendi et le Triomphe de Celine, ont plus de chance de revendre plus tard ce « premier achat mode ».

« De nombreuses femmes, à tort ou à raison, s’identifient au sac qu’elles portent, analyse Beverly Sonego. Pour elles, au-delà de la valeur patrimoniale, leur Hermès ou leur Prada, c’est un passeport, un ticket d’entrée dans le club des élégantes» Mais ça ne marche pas à tous les coups. « J’ai beau porter des sacs griffés, l’allure, ça ne s’achète pas, témoigne une anonyme. Récemment, j’étais à un vernissage entourée de femmes super chics, bien dans leur peau, et surtout les mains dans les poches - à croire que leur chauffeur les attendait devant la galerie ! Moi, dans mon manteau trop chaud, emberlificotée dans la bandoulière de mon Chanel, j’avais l’air d’une plouc. En revanche, il est vrai que, lorsque je vais dans ma famille en province, je suis considérée comme une Parisienne distinguée. Comme quoi tout est relatif… »

Les it-bags de Chanel, Fendi et Dior de seconde main se revendent sur le site de Monogram Paris Monogram Paris