«Inutile, inefficace et dangereux»... Qu’est-ce que «Worldcoin», le projet de cryptomonnaie controversé du fondateur d’OpenAI ?

L’actualité de la tech américaine suffira bientôt à écrire un “remake” de Bienvenue à Gattaca... ou d’un nouveau film de la saga Kingsman, selon les goûts. La start-up Tools for Humanity («Des outils pour l’humanité», NDLR) vient de lancer aux États-Unis son projet très controversé d’identité bionumérique, baptisé «Worldcoin». Créée en 2019 par Sam Altman, le fondateur d’OpenAI, et Alex Blania, l’entreprise propose de fonder l’identité numérique de ses utilisateurs sur le scan de leur iris. À l’aide d’un “orb” (voir photo), il est possible de se constituer une sorte de passeport numérique qui permet à son propriétaire de prouver son identité en ligne, sans partager de données personnelles, selon les fondateurs.

Un passeport qui permet de gagner des cryptomonnaies à moindres frais. Après avoir créé son «World ID» («identité World», NDLR), l’usager est invité à télécharger WorldApp, une application qui lui permet de recevoir des «Worldcoin tokens». Chaque utilisateur en touche quelques dizaines pour avoir scanné son iris. Cette cryptomonnaie, désormais utilisable par les quelque 12 millions d’utilisateurs «scannés», revendiqués par l’entreprise, vaut actuellement 0,88 dollar (76 centimes d’euro). Après son lancement officiel en 2023, elle avait atteint presque 12 dollars en mars 2024, avant de s’effondrer sous les 2 dollars quelques jours plus tard, minée par les interdictions successives dans plusieurs pays.

Des données ultrasensibles

Mais le projet a déjà du plomb dans l’aile... En cause, la sécurité des données personnelles des utilisateurs, questionnée par plusieurs pays. En mars 2024, la Commission nationale de protection des données (CNPD) du Portugal avait annoncé la suspension de Worldcoin, suivant de près la décision de l’agence espagnole de protection des données. Lisbonne évoquait alors «la sauvegarde du droit fondamental à la protection des données, en particulier des mineurs». L’Inde, Hong Kong, le Brésil, ou plus récemment l’Indonésie, ont pris des mesures similaires. «Une mesure préventive visant à prévenir tout risque potentiel pour le public», a déclaré Jakarta dans un communiqué début mai.

«Je les trouve très décomplexés», déclare Sébastien Martin, cofondateur du spécialiste de la cybersécurité Red Square. «Les données biométriques sont les plus sensibles qui soient : si elles venaient à fuiter, cela permettrait des usurpations d’identité et créerait de nouveaux vecteurs d’attaque», rappelle-t-il. «Le Kenya a par exemple demandé à Worldcoin de supprimer toutes les données collectées après s’être rendu compte que le consentement explicite des utilisateurs n’était pas clairement demandé», explique Sébastien Martin. En France, la CNIL avait déclenché en juillet 2023 une enquête sur le projet Worldcoin. Après l’ouverture d’une antenne à Paris, le gendarme des données personnelles s’était questionné sur la conservation de ces données ultrasensibles. Quelques jours plus tard, «l’orb» basée à Paris a subitement disparu du site, possiblement sur injonction de la CNIL, qui n’a plus communiqué officiellement sur le sujet.

Vers un salaire universel en cryptos

Reste que le projet de Sam Altman dépasse largement le monde des cryptomonnaies. Pour le fondateur, il s’agit d’un moyen permettant de différencier les humains des robots dans un monde où les agents IA sont de plus en plus nombreux. Une conviction à l’origine du projet dont l’idée lui serait venue il y a plusieurs années. «Nous avions besoin d’un moyen d’identifier et d’authentifier les êtres humains... dans un monde où Internet hébergerait de nombreux contenus produits par l’intelligence artificielle», a-t-il déclaré la semaine dernière à San Francisco lors d’une soirée de présentation. À cette occasion, Tools for Humanity a annoncé des partenariats avec VisaMatch Group (une entreprise américaine qui exploite des sites de rencontre comme Meetic), ou encore avec Razer, une marque informatique bien connue des passionnés de jeux vidéo.

Mais les fondateurs de l’entreprise rêvent aussi d’un salaire universel qui contrebalancerait les effets négatifs de l’IA sur l’emploi. «Si nous réussissons, nous pensons que Worldcoin pourrait créer de façon radicale des opportunités économiques, établir une solution fiable pour distinguer les êtres humains de l’intelligence artificielle en ligne tout en préservant la confidentialité... et, au final, ouvrir la voie à un revenu minimal universel fondé sur l’intelligence artificielle», peut-on ainsi lire dans la lettre de Sam Altman et Alex Blania sur le site web du projet.

Une communication critiquée par plusieurs acteurs du numérique. «Il est difficile de croire au réalisme de cette utopie malaisante quand on connaît les revirements passés de l’entreprise OpenAI, qui devait initialement partager ses recherches de manière transparente, associative et non lucrative et qui a fini par devenir tout le contraire», s’indignait sur LinkedIn Frédéric Martin, PDG de myDID, un développeur de logiciel spécialisé dans l’identité numérique. Ce dernier y voit un projet «inutile, inefficace et dangereux». «Ce n’est pas parce qu’une identité a été initialement vérifiée comme associée à un humain qu’on pourra ensuite s’assurer que cette identité sera utilisée par ce même humain», argue-t-il dans la suite de son post LinkedIn. Un point qui ne semble pas inquiéter le régulateur américain, pour le moment.