Notre critique de L’Intruse et Les Aveugles, au Théâtre du Vieux-Colombier: Maeterlinck au grand jour

Noir, c’est noir ! Gardez-vous bien d’aller voir L’Intruse et Les Aveugles deux pièces tirées de la Petite trilogie de la mort de Maurice Maeterlinck (1862-1949) si vous n’êtes pas en forme. Ces deux textes courts sur le temps qui passe - péniblement -, l’attente, et donc la mort, jouées par la troupe de la Comédie-Française ne sont pas pour vous.

Le dramaturge les a pourtant écrites à 29 ans, en 1890. En revanche, transposées sur scène par Tommy Milliot avec l’austérité d’une cellule de nonne, elles sont l’exemple parfait, mais nuancé, du « symbolisme belge » tel qu’on l’imagine en regardant Mélancolie, d’Edvard Munch, un tableau d’Ensor ou un poème de Verhaeren.

L’Intruse se déroule dans un décor épuré, une salle à manger, dont une porte vitrée donne sur un parc. L’oncle (Dominique Parent) parle d’un « accouchement terrible ». Le grand-père aveugle (Bakary Sangaré) s’inquiète pour la mère alitée dans une chambre et son bébé qui ne pleure ni ne crie dans une pièce séparée. La fille (Claïna Clavaron) et le père (Gilles David) essaient de le rassurer. L’aïeul sent une présence autour de la table. La lumière de la lampe s’atténue, qu’est-ce qui fait fuir les cygnes de l’étang ? Pourquoi le chien n’aboie-t-il pas ? La fille entend des pas, mais ne voit personne.

Mise en scène et scénographie dépouillées

Les Aveugles réunit onze aveugles, dont une « folle » et un bébé sage sur une île. Ils sont à l’affût des moindres bruits et mouvement. Ils attendent le retour du prêtre qui les a accompagnés dans un endroit inconnu. Il leur a promis de revenir pour les raccompagner à l’hospice, mais demeure absent. Le froid et la nuit tombent. « Je crois qu’il y a des étoiles ; je les entends », dit un vieil homme. Un autre est « un peu dur d’oreille », il a l’impression qu’on lui touche les mains. Unique signe de vie, un chien (Jesse), qui fait s’exclamer les spectateurs soulagés quand il surgit sur le plateau du Vieux-Colombier.

Âgé d’une quarantaine d’années, Tommy Milliot, directeur depuis 2024 du Nouveau Théâtre de Besançon, offre une œuvre crépusculaire aux accents sombres. Placés dans une situation inhabituelle, les personnages de Maeterlinck perdent leurs repères. Une « grande horloge flamande » marque les heures dans L’Intruse, une cloche sonne dans Les Aveugles. Le fait est que dans les deux pièces, les protagonistes ont de plus en plus peur.

Aussi dépouillée que la scénographie, la mise en scène, également de Tommy Milliot, repose sur le verbe de Maeterlinck, économe en mots. Et oblige les comédiens, tous prodigieux, à être statiques. Des sortes de bourdonnements (Vanessa Court) interrompent les plages de silence et contribuent à créer une atmosphère inquiétante et mystérieuse. Beckett et Ionesco s’y retrouveraient.

Le fondateur de la compagnie, Man Haast, qui entend explorer les dramaturgies contemporaines, a une prédilection pour les écritures singulières. En 2019, pour sa première collaboration avec la Maison de Molière, il avait monté un huis clos, Massacre, de Lluïsa Cunillé, une figure importante du théâtre catalan.

L’Intruse et Les Aveugles, au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris 6e), jusqu’au 2 mars.