Roland-Garros 2025 : les "night sessions" sans le moindre match féminin, un débat récurrent et sans solution ?

Comme Roland-Garros, il revient chaque année. Lui, c'est le débat sur les matchs féminins en night session. Et comme depuis son instauration sur le Grand Chelem parisien en 2021, il devrait de nouveau animer la Quinzaine, clivant les défenseurs du tennis féminin et les autres. Et notamment, mercredi 28 mai, alors que l'affiche avec le Français Hugo Gaston, finalement forfait contre Ben Shelton pour le 2e tour, propose un plan B masculin.

Amélie Mauresmo, la directrice du tournoi, interrogée il y a quelques semaines par franceinfo: sport, avait botté en touche, se refusant à promettre quoi que ce soit pour cette édition 2025. "On va fonctionner comme on le fait chaque année avec le juge arbitre du tournoi et Gilles (Moretton, le président de la Fédération française de tennis), à savoir chaque jour quel est le match avec le plus de promesses qui peut se placer en session de soirée. Et espérer peut-être mettre un match ou plusieurs de tennis féminin", avait-elle ajouté.

"C'est une honte de la part de la fédération"

Au jour 4 du tournoi, pas de trace d'un match féminin en session du soir sur l'ocre parisienne. Un non-sens pour la joueuse tunisienne, Ons Jabeur. "C'est une honte de la part de la Fédération, une honte de la part du diffuseur [Prime Video] d'avoir signé un tel contrat", s'est-elle agacée en conférence de presse après son élimination au premier tour, mardi. Beaucoup de grandes joueuses méritent d'être là. L'un des matchs de lundi opposait Naomi Osaka et Paula Badosa. Un match incroyable. Elles auraient dû jouer en session de nuit", a ajouté l'ex-numéro 2 mondiale.

Fallait-il d'ailleurs, mercredi 28 mai, choisir de programmer le match entre Emma Raducanu, victorieuse de l'US Open en 2021 et Iga Swiatek, 5e mondiale et quadruple vainqueure à Roland-Garros (2020, 2022, 2023, 2024), ou la rencontre entre Emilio Nava, 137e mondial et Holger Rune, 10e à l'ATP, qui n'a jamais fait mieux qu'un quart de finale en Grand Chelem ? Les organisateurs ont tranché en faveur de la seconde solution.

La faute à des matchs féminins trop courts ? "Oui, pour moi, la problématique est là", expose notre consultant tennis, Arnaud Clément. Le problème, c'est la durée potentielle d'un match féminin. Avec les garçons, on a l'assurance d'avoir un minimum de trois sets. Là où avec les top joueuses, ça peut se jouer en 45 ou 50 minutes", ajoute-t-il. Pourtant, l'affiche entre Naomi Osaka et Paula Badosa lundi, évoquée par Ons Jabeur s'est jouée en 2h21 et le match entre la Japonaise et Iga Swiatek l'an dernier s'était aussi conclu en 2h57. Un exemple criant sur cette édition 2024 puisque le match en night session le plus long avait été celui de Gael Monfils opposé à Thiago Seyboth Wild, quatre sets en 2h34.

"Le spectateur vient, on est obligés de lui en donner pour son argent. En vrai, on ne peut jamais savoir à l'avance si un match va être bon ou mauvais. Il faut faire le bon pari mais c'est bien plus difficile avec un match de tennis qu'un match de foot, qui quoi qu'il arrive dure 90 minutes"

Guy Forget

à franceinfo: sport

La solution pourrait alors venir du passage des matchs féminins en trois sets gagnants, comme le soulève l'ancien capitaine de Coupe Davis et de Fed Cup. "Si on met des matchs de femmes qui peuvent aller jusqu'à cinq sets, il n'y a plus de discussion. Les rencontres féminines dureront minimum deux heures".

Et si les night sessions proposaient deux matchs ?

Une autre voie revient régulièrement dans le débat : programmer deux matchs par session de nuit, comme c'est déjà le cas à l'US Open et l'Open d'Australie. "Ce serait le plus simple, abonde Guy Forget. En commençant peut-être un peu plus tôt, aux alentours de 19 heures". Mais cette option n'a pour l'instant pas retenu l'attention de l'organisation.

A raison, pour Arnaud Clément. "Sur dur (à New-York et Melbourne donc), les sessions de soirée se déroulent en été. A Roland-Garros, c'est encore le printemps et ça peut expliquer la frilosité à programmer deux matchs en soirée". Ce que confirme Guy Forget. "A Paris, on sait qu’en soirée parfois il fait froid, on peut finir très très tard, ce n’est pas un avantage".

  (ALAIN JOCARD / AFP)
  (ALAIN JOCARD / AFP)

La localisation du stade parisien peut aussi expliquer la mise sur la touche de sessions de nuit à deux matchs : les riverains à proximité n'ont sans doute pas envie d'entendre cris et applaudissements jusqu'à 3 ou 4 heures du matin pendant 15 jours. Pas au point de mettre son veto sur les night sessions comme à Wimbledon, mais leur voix compte.

"C'est quand même plus sympa de jouer à 15 heures sous le soleil"

Et puis si Ons Jabeur s'est exprimée en faveur des matchs féminins lors des sessions de soirée, c'est loin d'être le cas de la majorité des joueuses. Iga Swiatek, de nouveau interrogée sur le sujet avant Roland-Garros, affiche toujours sa préférence. "J’aime bien jouer le jour, a-t-elle réaffirmé. Je suis donc ravie quand j’ai fini ma journée, je peux me reposer plus longtemps".

Un avis que partage largement Guy Forget, ancien n°4 mondial. "A mon époque, j'aurais préféré jouer en journée, ça ne m'aurait pas fait marrer du tout de jouer le soir, et j'aurais largement préféré qu'on programme des matchs de femmes. ça permet aussi de mieux récupérer, aller diner dans Paris, se coucher après un film", énumère-t-il auprès de franceinfo: sport. "C'est quand même plus sympa de jouer à 15 heures sous le soleil et d'avoir fini à 18 heures", conclut-il. De quoi valider les seuls quatre matchs féminins programmés en soirée depuis 2021 sur les 43 disputés, le dernier étant l'affiche entre Alizé Cornet et Jelena Ostapenko lors de l'édition 2023.

Le niveau du tennis féminin français parmi les causes

"A mon époque (quand il était directeur du tournoi sur l'édition 2021), on avait programmé Serena Williams et le match d'une Française. Mais j'avais aussi reçu des mails de gens qui avaient pris leurs places plusieurs mois à l'avance et qui n'étaient pas contents", se remémore Guy Forget pour franceinfo: sport. La vacance laissée par l'Américaine comme tête de gondole du tennis féminin et la vacuité du niveau français chez les femmes pourraient aussi expliquer la frilosité des organisateurs.

"Le tennis féminin en France actuellement, c'est plus difficile. Et donc, ça n'aide pas pour les sessions du soir. En ce moment, c'est compliqué de programmer des Françaises le soir, c'est un fait."

Amélie Mauresmo

en conférence de presse avant Roland-Garros

Mais pour la Tunisienne Ons Jabeur, c'est un serpent qui se mord la queue. "C'est dommage pour le sport féminin en général, pas seulement pour le tennis, a-t-elle soufflé en conférence de presse, mardi. Je ne pense pas que ceux qui prennent ces décisions ont des filles, je ne crois pas qu'ils les traiteraient comme ça. C'est un peu ironique". Et d'ajouter. "Ils ne montrent pas le sport féminin, ils ne montrent pas le tennis féminin et puis ils disent 'Oui, mais les fans regardent surtout les hommes', a-t-elle noté. Bien sûr qu'ils regardent plus les hommes parce qu'on montre plus les hommes, tout est lié ». Et le débat risque de durer.