ENTRETIEN. "Beaucoup de médecins m'ont dit que les douleurs étaient dans ma tête", regrette la sprinteuse Brittany Brown, atteinte d'endométriose
Elle a passé huit ans à supporter une douleur atroce sans qu'on lui apporte un diagnostic clair. Brittany Brown, sprinteuse américaine de 29 ans spécialiste du 200 m, est atteinte d'endométriose, une maladie gynécologique inflammatoire chronique, qui se caractérise par la présence, hors de la cavité utérine, de tissu de la muqueuse de l’utérus (appelée endomètre).
Diagnostiquée en 2023, Brittany Brown a fait de sa maladie un combat pour toutes les femmes qui en sont atteintes. Aux Jeux olympiques de Paris, elle a remporté le bronze sur le 200 m, sa première médaille olympique en carrière, qu'elle a dédiée à cette cause. Pour franceinfo: sport, elle revient sur son long combat dans l'indifférence avant de mettre enfin un mot sur ses maux.
franceinfo: sport : Vous avez dédié votre médaille de bronze aux Jeux olympiques de Paris à toutes les femmes atteintes d’endométriose. En quoi était-ce important pour vous ?
Brittany Brown : J'ai été diagnostiquée en 2023. Depuis, je me suis donc beaucoup renseignée sur le sujet et j'ai commencé à en parler. Puis, je me suis retrouvée aux Jeux olympiques de Paris, et j'ai été inspirée par toutes ces femmes, atteintes elles aussi d'endométriose, qui m'ont contactée et qui m'ont raconté leur histoire. Même si je ne les connais pas physiquement, nous partageons un bout d'histoire, et elles font désormais partie de ma communauté. C'est pourquoi j'ai voulu leur dédier ma médaille.
En tant qu’athlète, il est important pour vous d’utiliser votre notoriété pour sensibiliser sur le sujet ?
Oui, absolument. D'après les chiffres officiels, relayés par l'ONU, 10 % des femmes et des filles en âge de procréer à l’échelle mondiale, soit 190 millions de personnes, sont atteintes d'endométriose. Quand on doit faire face à une maladie chronique et à ses symptômes, comme c'est le cas pour l'endométriose, c'est très difficile physiquement et mentalement. Et je ne pense pas que les gens se rendent vraiment compte de ce que cela provoque sur le corps.
Il n'y a encore pas beaucoup de spécialistes qui connaissent vraiment bien l'endométriose. C'est pourquoi je me sens responsable de prendre la parole et de sensibiliser le plus grand nombre autour de cette maladie.
Comment avez-vous découvert que vous étiez atteinte d’endométriose ?
J'ai commencé à ressentir des symptômes assez terribles à l'université, en 2015-2016. Pourtant, je n'ai été diagnostiquée qu'en 2023, soit huit ans plus tard. À l’époque, beaucoup de médecins me disaient que les douleurs étaient dans ma tête, et que j'allais bien.
Plus les années passaient, et plus les douleurs m'affectaient sur et en dehors de la piste. C'est devenu un problème et j'ai dû continuer d'insister auprès des médecins pour leur dire "Hé ho ! Je pense qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez moi". Et finalement, en 2023, j'ai eu la confirmation que j'étais atteinte d'endométriose.
"Le retard dans le diagnostic favorise la croissance de la maladie, et peut affecter différentes parties de votre corps, de vos organes. Le quotidien devient alors difficile."
Brittany Brown, sprinteuse américaine spécialiste du 200 mà franceinfo: sport
Il n'y a pas que la douleur, il y a aussi les nausées, les migraines, les saignements abondants lors des règles. Et puis, il y a aussi l'impact émotionnel. Vivre avec ces douleurs, que l'on soit athlète ou non, ne permet pas d'avoir une bonne qualité de vie au quotidien. À cause d'un diagnostic tardif, on a l'impression de perdre des années de vie.
Les douleurs peuvent être différentes selon les personnes. Lesquelles éprouvez-vous ?
Je n'ai jamais été enceinte, mais je comparerais ça à des contractions. C'est comme si votre bassin, ou votre utérus, se contractait, qu'il se serrait très fort et qu'il se tordait. La douleur est si forte que vous ne pouvez pas vous distraire avec autre chose pour ne plus penser à la douleur. Comme beaucoup de femmes, je pense que j'ai une grande tolérance à la douleur, ce qui permet de continuer d'avancer.
Avez-vous trouvé des solutions pour vous soulager et contrer la douleur ? Comment adaptez-vous votre entraînement, le cas échéant ?
Parfois, nous adaptons l'entraînement, parfois non. Dans ce cas, nous échangeons avec mon entraîneur. Si l'entraînement prévu est très chargé, on peut prévoir quelque chose de plus allégé, avec moins de répétitions par exemple.
"Souvent, l'état d'esprit de l'athlète prend le dessus et je suis capable de compartimenter pendant une heure ou deux ce que je ressens, afin de me concentrer sur la tâche à accomplir."
Brittany Brown, médaillée de bronze sur 200 m aux JO de Parisà franceinfo: sport
Pour soulager et atténuer les douleurs, je travaille avec des nutritionnistes, je fais de l'acupuncture, et aussi beaucoup de visualisations de la douleur. Et bien sûr, j'utilise beaucoup les coussins chauffants. Je pratique aussi la méditation avec tout un travail sur la respiration. Car, quand vous êtes en pleine crise d'endométriose, la pire chose à faire est de paniquer. C'est pourquoi je pratique beaucoup la méditation pour rester à flot. C'est ce que j'ai trouvé pour me soulager. Chacune doit trouver ce qui lui permet de tenir. Bien souvent les gens pensent que les douleurs apparaissent seulement au moment des règles, mais cela peut être une période plus large.
Comment parvenez-vous à être performante malgré la maladie ?
En tant qu'athlète, le sport m'a permis d'avoir une capacité surnaturelle à persévérer et à être résiliente. J'ai aussi eu la chance d'avoir des entraîneurs et des proches qui m'ont soutenu depuis le début. Vous savez, il n'y a pas de traitement curatif, peu de spécialistes, et la recherche est sous-financée. Il y a des jours où je suis triste et bouleversée car j'ai l'impression qu'on n'en fait pas assez pour les personnes atteintes d'endométriose. Mais j'ai persévéré et j'ai été portée par toutes ces femmes qui m'ont contactée.
Il y a l’aspect physique mais aussi mental de la maladie. Certaines athlètes ont dû mettre un terme à leur carrière à cause de l’endométriose. Avez-vous déjà pensé à arrêter ?
L'idée vous vient parfois à l'esprit parce qu'il est difficile de faire quelque chose quand votre corps vous dit non tout le temps. Je ne veux pas m'arrêter. Mais y ai-je déjà réfléchi ? Oui, j'y ai pensé.
"Quand on souffre de douleurs chroniques, on ne peut s'empêcher de se dire : 'Je ne veux pas continuer à faire ça parce que mon corps me fait trop mal'. Mais pour le moment, je veux et je peux continuer."
Brittany Brown, athlète américaine atteinte d'endométrioseà franceinfo: sport
Si les inconvénients commencent à peser sur les avantages, alors je me poserais la question. J'ai encore des médailles olympiques à aller chercher. J'ai encore beaucoup d'envie et de choses à faire dans ce sport. L'endométriose sera toujours là, et je continuerai d'en parler.
Aux États-Unis, l'endométriose est-elle une maladie reconnue et bien prise en charge ?
En ce moment, aux Etats-Unis, beaucoup de sujets autour de la santé des femmes peuvent être très controversés, et l'endométriose en fait partie. On n'en parle pas assez. J'aimerais qu'un jour, les diagnostics ne prennent plus une éternité et qu'ils ne soient pas toujours rejetés, repoussés ou mis de côté.