Elle mesure 4 mètres sur 6, pèse 14 tonnes et fait trembler le Danemark. La Grande Sirène du fort de Dragør, près de Copenhague, cristallise un débat houleux sur la représentation du corps féminin dans l’espace public. Selon le journal britannique The Guardian, l’agence danoise des palais et de la culture a ordonné son retrait, officiellement parce que la sculpture ne correspond pas au patrimoine culturel du site. Officieusement parce que ses formes généreuses et sa poitrine opulente dérangent. Au point même que le critique d’art Mathias Kryger du journal Politiken l’a qualifiée de «laide et pornographique».
Même son de cloche du côté de Sørine Gotfredsen. La prêtre et journaliste, elle aussi citée par le Guardian, écrit dans le quotidien danois Berlingske : «Ériger une statue qui représente le rêve ardent d’un homme sur ce à quoi devrait ressembler une femme est peu susceptible de favoriser l’acceptation de son propre corps par de nombreuses femmes.» Elle ajoute : «Il est vraiment réconfortant que beaucoup trouvent la statue vulgaire, peu poétique et indésirable, car nous étouffons sous des corps imposants dans l’espace public.»
Passer la publicitéDébat sur le corps des femmes
Face à la controverse, Peter Bech, le sculpteur de cette œuvre monumentale, réplique. Pour lui, les critiques n’ont aucun fondement : les seins de sa sirène sont simplement «d’une taille proportionnelle» à l’échelle de la statue.
Certaines voix s’élèvent toutefois pour défendre la Grande Sirène. Aminata Corr Thrane, rédactrice en chef des débats du Berlingske, dénonce une forme de stigmatisation corporelle. «Les seins nus des femmes doivent-ils avoir une forme et une taille académiques spécifiques pour être autorisés à apparaître en public ?», interroge-t-elle. Pour elle, la controverse révèle surtout «l’attitude de la société envers le corps des femmes en général».
La journaliste établit même un parallèle intéressant avec la célèbre Petite Sirène, statue en bronze placée sur un rocher dans le port de Copenhague : «La Grande Sirène est sans doute un peu moins nue que sa petite contemporaine en bronze et granit. D’un autre côté, elle a des seins plus gros, et c’est probablement là que réside le problème.» Une réflexion qui l’amène à conclure : «Peut-être que les deux statues représentent les deux facettes de la femme, et relance l’éternel débat sur ce qu’est une vraie femme. Et peut-être même ce qu’est une mauvaise femme.»
Avenir incertain
La controverse autour de la Grande Sirène ne date toutefois pas d’hier. Créée en 2006 en réponse aux touristes qui trouvaient la Petite Sirène trop petite, elle avait d’abord été installée sur la jetée Langelinie, à Copenhague, non loin de sa célèbre cousine. Mais dès 2018, face aux protestations des habitants qui la jugeaient «fausse et vulgaire», elle avait dû déménager pour s’établir au fort de Dragør. Aujourd’hui, son avenir reste incertain. La municipalité a décliné l’offre du sculpteur de lui céder gratuitement l’œuvre.