Guerre à Gaza : l'historien Jean-Pierre Filiu dénonce "une destruction purement humaine, méthodique, systématique"
La situation à Gaza est "inimaginable", a témoigné mercredi 28 mai sur franceinfo l'historien Jean-Pierre Filiu, qui a passé un mois dans la bande de Gaza entre les mois de décembre et janvier dernier, alors que le territoire palestinien est continuellement bombardé par l'armée israélienne.
Au moins huit personnes sont mortes la nuit dernière dans un territoire totalement interdit aux journalistes étrangers. Mercredi, plusieurs organisations, Greenpeace, Oxfam, Amnesty International ou encore Médecins du monde, ont mené une action à Paris pour dénoncer "un bain de sang" et une "tragédie orchestrée".
D'une "oasis prospère" à un "champs de ruines"
"C'est près de 20 mois d'une catastrophe qui n'a rien de naturel", dénonce Jean-Pierre Filiu, universitaire habitué des terrains de guerre, qui publie "Un historien à Gaza", aux Arènes. Il se désole d'une "destruction qui est purement humaine, méthodique, systématique, de tout ce que j'avais connu comme historien, d'une bande de Gaza comme espace de vie, d'un territoire qui avait été une oasis prospère et florissante".
"Un champ de ruines où plus de deux millions de femmes et d'hommes essaient de survivre avec le plus de dignité possible."
Jean-Pierre Filiu, historienà franceinfo
Le professeur d'histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences-Po pointe notamment la ville de Khan Younès, qui était "un carrefour commercial, fondée au XIVᵉ siècle, un caravansérail". La ville "n'était pas la plus esthétiquement agréable du monde, mais vibrait de vie". L'historien a redécouvert la ville avec "ces amoncellements de ruines, ces rues dévastées, ces étendues de rien, ces paysages lunaires".
Il avoue avoir mis "plusieurs jours" avant de "trouver" ses "repères". "Je m'accrochais à cela, comme les Palestiniens, retrouver les éclats de vie, les filets de joie qui continuent à s'insérer dans cette ville dévastée et notamment autour d'un improbable château d'eau, une eau pas du tout potable." Il témoigne d'une "espèce d'oasis urbaine qui faisait que là, il y avait encore quelques tentes colorées, une école, des enfants avec l'air moins hagard qu'ailleurs, de la vie qui tentait de résister malgré tout à cette désolation orchestrée avec méthode et système depuis près de 20 mois".
"Il faut à tout prix qu'un flux massif d'aide humanitaire atteigne Gaza"
Jean-Pierre Filiu raconte encore la difficulté de se mettre à l'abri lors des attaques de l'armée israélienne. "Bouger au moment où on a reçu l'ordre d'évacuer, c'est se mettre en danger parce que les hostilités sont tout à fait erratiques". Il souligne que "les blocs d'après lesquels l'armée israélienne ordonne de se déplacer ou pas n'ont aucune existence physique sur le terrain". "Ils sont peut-être très clairs sur des écrans en Israël, mais sur place, ça ne correspond à rien", juge l'historien.
"Aller à droite, aller à gauche, ne pas bouger à chaque fois, c'est une décision de vie ou de mort. Et la mort est partout à Gaza. Et ça, c'est vraiment une expérience que je n'avais jamais ressentie, que l'on peut d'ailleurs relier au ronronnement permanent des drones."
Jean-Pierre Filiu, historienà franceinfo
L'historien dénonce "ce phénomène très pervers" qu'il a pu "documenter". "L'armée israélienne, d'une main, laisse rentrer un peu d'aide humanitaire, et de l'autre encourage des pillards, qu'elle arme, qu'elle soutien, parfois par des frappes aériennes, contre la sécurité de convois humanitaires des Nations unies". L'armée israélienne parvient ainsi à "discréditer les Nations unies comme elle le fait de manière systématique", assure l'historien.
"On verra - je n'en ai malheureusement aucun doute - que l'aide humanitaire israélienne, appuyée sur des mercenaires de sociétés américaines, conduira un nouveau désastre et n'allégera en rien les souffrances terribles de la population", alerte encore Jean-Pierre Filiu. "Il faut à tout prix qu'un flux massif d'aide humanitaire atteigne Gaza. Il y a des tonnes d'aide aux frontières de Gaza. Il faut qu'elles puissent rentrer sans entrave. Et les organisations humanitaires assureront cette distribution", ajoute l'historien.