Cyclisme : après son immense numéro, où situer Pogacar par rapport aux légendes Merckx et Hinault ?

« Il joue dans une autre ligue », assure le Danois Mads Pedersen (2e du Tour des Flandres ce dimanche), époustouflé, ébloui, assommé par la nouvelle démonstration de force d’un diabolique Tadej Pogcar sur le «Ronde». Les traits juvéniles du Slovène cachent une férocité rare, une polyvalence épatante, une réussite éclatante. Où le situer dans l’histoire du cyclisme ?

Au palmarès de l’omnipotent Slovène brillent 3 Tours de France (2020, 2021, 2024) ; 1 Tour d’Italie (2024) ; 1 titre de champion du monde (2024) ; 8 victoires sur les Monuments : Liège-Bastogne-Liège 2021, 2024 ; Tour de Lombardie 2021, 2022, 2023, 2024 ; Tour des Flandres 2023, 2025 ; et quelques courses prestigieuses d’un jour ou par étapes (l’Amstel Gold Race, la Flèche Wallonne, Tirreno-Adriatico ou 3 fois les Strade Bianche). Son champ d’action et sa domination sont vastes. Sa voracité sans limites. Et il accompagne souvent ses victoires d’échappée éblouissantes, ne craignant jamais de s’exposer et de devoir résister à la meute (81 km en solitaire lors des Strade Bianche 2023 ou 100 km devant lors du Mondial 2024).

« C’est évident que Pogacar est maintenant au-dessus de moi »

Eddy Merckx dans L’Equipe après le récital du Slovène lors du championnat du monde, à Zurich, fin septembre

S’il se faufile déjà à la 7e place (7 Monuments) des coureurs ayant remporté le plus de Monuments (derrière Eddy Merckx 19, Roger de Vlaeminck 11, Constante Girardengo, Fausto Coppi, Sean Kelly 9 et Rick Van Looy 8). Et à la 12e place (4 tours victorieux), des vainqueurs de grands Tours (11 pour Eddy Merckx, 10 pour Bernard Hinault, 8 pour Jacques Anquetil, 7 pour Fausto Coppi, Miguel Indurain, Alberto Contador et Christopher Froome, 5 pour Gino Bartali, Alfredo Binda, Felice Gimondi, Primoz Roglic, Tadej Pogacar a tout (à commencer par le temps) pour continuer à escalader les marches de la hiérarchie.

Dans la longue histoire du cyclisme, derrière Eddy Merckx (11 grands tours, 19 Monuments, 3 titres de champion du monde…), se tiennent Bernard Hinault (10 grands tours dont 5 Tours de France, 1 titre de champion du monde, 5 Monuments dont Paris-Roubaix 1981 et Liège-Bastogne-Liège 1980 rebaptisé « Neige-Bastogne-Neige » dompté par un cavalier de l’apocalypse après 80 km d’échappée et 9’24’’ d’avance sur le premier poursuivant Hennie Kuiper), Jacques Anquetil (8 tours), Fausto Coppi (7 tours, 8 Monuments, 1 titre de champion du monde)... Et les prestigieux Alfredo Binda, Gino Bartali, Loison Bobet ou Felice Gimondi occupent une place de choix.

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Paris-Roubaix, un défi à sa démesure pour marquer l’histoire du sport

Tadej Pogacar n’a que 26 ans. Professionnel depuis 2018, il n’a connu qu’une équipe, UAE Team Emirates, qui a grandi au rythme de ses défis. Le prochain qui se dressera sur un programme copieux en 2025 (Tour de France, Vuelta, championnats du monde au Rwanda…) se nomme Paris-Roubaix. Pour continuer à poser une griffe profonde dans l’histoire. Pour marquer les esprits et l’histoire de la discipline et du sport mondial.

Paris-Roubaix, un passage redouté. Un détour que les candidats au Tour de France ont, depuis le début des années 1990, refusé. Mais une course que les plus grands ont mis un point d’honneur à dominer. Eddy Merckx, le plus grand des grands a régné sur « l’Enfer du Nord » à 3 reprises (1968, 1970, 1973). Merckx qui est, avec ses compatriotes Rick Van Looy et Roger De Vlaeminck, l’un des trois coureurs à avoir remporté les 5 Monuments (Milan-San Remo, Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège, Tour de Lombardie). Un des autres défis de Pogacar qui n’en manque pas… Car si le Slovène se détache déjà comme le meilleur coureur du XXIe siècle, tout en haut, règne Eddy Merckx.

Ce qu’il «reste» à Pogacar pour s’asseoir à côté de Merckx

Pour venir s’asseoir à côté d’Eddy Merckx, voire le dépasser Tadej Pogacar doit encore dompter Paris-Roubaix (sa découverte habille l’Enfer du nord d’une curiosité rare), Milan-San Remo (il a terminé, frustré, 3e en 2024 et 2025), la Vuelta (3e en 2019 lors de son unique participation). Il peut aussi viser un titre olympique (3e en 2021 à Tokyo) et des records : le plus grand nombre de Tours de France et de grands Tours remportés, le plus grand nombre de Monuments, le plus grand nombre de titres de champions du monde… Ou encore remporter les Tours d’Italie, de France et d’Espagne la même année.

Pour faire un peu d’ombre à Eddy Merckx. Parce que dans les palmarès et les esprits Eddy Merckx reste solidement accroché tout en haut. Le « Cannibale » (525 victoires professionnelles ; 11 victoires sur les grands Tours, dont 5 Tours de France ; 19 succès sur les Monuments, dont 7 Milan-San Remo et 5 Liège-Bastogne-Liège ; 3 titres de champion du monde), surnom donné par la fille de l’un de ses équipiers a martyrisé ses rivaux et squatté les palmarès durant sa carrière (1965-1978). Sa collection est impressionnante. Sur tous les terrains (il a également brillé sur piste où il a notamment détenu le record du monde de l’heure). En toute saison. Parmi ses exploits les plus inoubliables le cavalier seul (140 km) durant la 17e étape du Tour de France 1969 (Luchon-Mourenx) se détache. Au sommet du Tourmalet, le Belge s’élance. Rien ne le freinera. Ni le Soulor, ni l’Aubisque. Il terminera avec plus de 8 minutes d’avance.

Dans les palmarès et les esprits Eddy Merckx reste solidement accroché tout en haut

Pogacar, les anciens l’applaudissent et l’attendent. « C’est évident que Pogacar est maintenant au-dessus de moi. Je le pensais déjà un peu au fond de moi-même quand j’avais vu ce qu’il avait fait sur le dernier Tour de France mais ce soir il n’y a plus de doute », résumait Eddy Merckx dans L’Equipe après le récital du Slovène lors du championnat du monde, à Zurich, fin septembre. Bernard Hinault, nous confiait après le Mondial : « Pogacar m’épate. Je l’avais vu sur le Tour de l’Avenir (en 2018), quand il avait gagné. Il avait 18 ans. J’étais avec Philippe Bouvet (ancien journaliste de L’Équipe) et on s’était dit : ‘’Celui-là, attention.’’ Et il a confirmé, a progressé d’année en année. Il domine le cyclisme magnifiquement. Il fait déjà partie de la classe des grands. Et ce qui fait plaisir à beaucoup d’anciens, c’est qu’il ne se pose pas de questions. Il attaque de loin par rapport à une période où cela ne bougeait pas, où de grosses équipes bloquaient tout. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus ouvert et on a une génération de jeunes, de tous les pays, qui arrive. Au Mexique, en Espagne, en Belgique... Il y en a partout et ça fait rêver. Est-il déjà le plus grand ? On ne peut pas comparer les époques. Parce que ce ne sont pas les mêmes vélos, les mêmes méthodes d’entraînement. Mais c’est le grand champion des années 2000, 2020, 2030... Parce que sa carrière est loin d’être finie, à moins d’un accident. Quand on le voit partir, on sent qu’il s’amuse, se fait plaisir à faire du vélo, c’est ce qui fait qu’il durera longtemps. Je me reconnais dans cette attitude, cette envie. Ne pas se poser de questions et attaquer. Lors du championnat du monde de Zurich, quand il attaque à 100 kilomètres de l’arrivée, tout le monde a dit que c’était une folie, mais non. Il a surpris tous ses adversaires. Il faut surprendre. Et, quand on regarde le final, les autres sont bien fatigués. À la fin du Tour de France, après avoir déjà gagné le Tour d’Italie, il avait dit : «Je veux gagner le championnat du monde.» Pas «j’ai envie», «je veux»... Et il l’a fait… »

Et il va continuer à le faire. Prochain défi : Paris-Roubaix…