Jafar Panahi, le résistant gagne la palme d’or

Jafar Panahi n’était pas venu à Cannes depuis quinze ans. Jusqu’à l’année dernière, le régime iranien empêchait le cinéaste de voyager mais il ne l’a jamais empêché de tourner. Clandestinement : tel est le credo de cet homme trapu à la chevelure fournie qui présentait le mardi 20 mai sur la Croisette Un simple accident. Son nouveau film, tourné en caméra cachée avec une troupe d’acteurs dont certains ne sont pas professionnels - on compte parmi eux une arbitre de karaté, son neveu, un menuisier -, a reçu une longue ovation lors de sa projection.

Il évoquait ce moment avec beaucoup d’émotion la veille de la cérémonie : « C’était la première fois depuis quinze ans que je voyais un de mes films dans une salle, avec du public. Percevoir les réactions du public, observer les points forts et les points faibles du film à travers eux… J’ai été privé de cela pendant quinze ans. Oui, j’ai eu l’impression que c’était une première fois », confiait-il au Figaro. Dans son pays, en effet, la plupart de ses films ont été interdits car trop critiques vis-à-vis du régime des mollahs.

Victime de la censure

En 1995, Jafar Panahi reçoit la Caméra d’or à Cannes pour son premier film, Le Ballon blanc, dont le scénario est co-écrit avec Abbas Kiarostami. Dès le suivant, la censure entre en scène. Le Cercle, qui évoque la condition de la femme en Iran, est banni des salles. En 2003, Sang et Or, aux frontières du polar, est choisi pour représenter l’Iran aux Oscars, ce qui ne l’empêche évidemment pas d’être interdit. Tout comme Hors jeu, qui met en scène un groupe de femmes bravant les interdits pour assister à un match de foot.

En 2010, il est arrêté et passe 86 jours à la prison d’Evin avant d’être libéré sous caution en mai. Invité comme juré à Cannes, son fauteuil reste symboliquement vide pendant toute la durée du festival. Jafar Panahi est condamné à ne plus réaliser de films, écrire de scénarios, accorder d’entretiens à la presse, ni quitter son pays pendant vingt ans, sous peine de six ans d’emprisonnement.

Il ne lâche pas pour autant la caméra, tournant d’abord dans le secret de son appartement Ceci n’est pas un film avant de se risquer à l’extérieur. Taxi Téhéran, dévoilé en 2015 à la Berlinale, pérégrination d’un chauffeur de taxi (lui-même) qui recueille les confidences de ses clients sera un énorme succès à l’étranger. Le 11 juillet 2022, Jafar Panahi est une nouvelle fois arrêté et ne sera libéré que le 3 février 2023 après une grève de la faim.

C’est cette expérience au sein de la prison qui lui a inspiré l’histoire d’Un simple accident où l’on voit des prisonniers revenus à la vie civile kidnapper leur ancien tortionnaire et se disputer sur le sort à lui réserver. « C’est très difficile de créer une œuvre au moment où les faits décrits se déroulent, nous expliquait-il vendredi. Leurs questionnements sont les nôtres en ce moment : que va-t-on faire demain de ces gens-là ? C’est très difficile de savoir l’attitude juste à avoir. Y compris pour moi qui plaide pour la non-violence. Sera-t-on vraiment capable de l’appliquer ? »