Près de Nantes, un septuagénaire partage son amour des reptiles sur TikTok et YouTube
Depuis l’extérieur, peu d’indices trahissent la luxuriante ménagerie. Une muraille d’arbustes enveloppe certes l’adresse de verdure et de gazouillis d’oiseaux, tandis que des alligators ornent le portail d’entrée. Heureusement, la maison qui se présente aux yeux des visiteurs de l’association Inf’faune ne mord pas. Ses occupants, en revanche, ont d’autres habitudes. Quelque 400 animaux, reptiles, insectes et créatures en tout genre cohabitent en harmonie entre ses murs et son jardin, en liberté surveillée ou en vivarium. Les cobras cracheurs voisinent les mygales poilues, les caméléons fricotent - de loin - avec les phasmes, les scorpions boudent les tortues. Et à l’étage, blotti entre deux sofas, un alligator grogne lorsqu’on l’approche, pendant qu’un second congénère somnole dans une pièce voisine. «Attention, ce ne sont pas des Pokémon !», prévient Philippe Gillet, président et fondateur de l’association, installée à Couëron, dans la banlieue ouest de Nantes (Loire-Atlantique). À 72 ans, cet herpétologue, spécialiste des reptiles et des amphibiens, savait déjà murmurer à l’oreille des animaux les plus exotiques. Depuis un an, le voilà converti au parler jeune. Et aux plateformes numériques.
«Tout a commencé lorsqu’on m’a proposé de “faire des live sur TikTok”. Des mots que je n’avais pas bien compris, à vrai dire ; à 72 ans j’ai passé l’âge !», se souvient Philippe Gillet, assis à côté du trophée en argent que lui a envoyé YouTube, quelques semaines plus tôt, pour avoir franchi la barre des 100.000 abonnés. Aujourd’hui, la chaîne d’Inf’faune dépasse les 200.000 abonnés sur la plateforme américaine et a séduit plus de 685.000 abonnés sur TikTok. Une reconversion numérique réussie pour l’association fondée en 1996 par cet ancien guide de chasse - et parachutiste - qui a grandi et exercé en Centrafrique, avant de se ranger en métropole. Ses contacts avec les animaux remontent à son plus jeune âge. «J’ai toujours vécu au milieu d’eux, j’ai passé mon enfance avec les fauves, à donner le biberon aux antilopes et à courir la cambrousse à la recherche de serpents», raconte ce bourlingueur aux épaules carrées et à la fine barbe blanche, qui s’attache désormais à faire connaître ses animaux à un nouveau son public. En attendant d’ouvrir, un jour peut-être, un grand refuge spécialisé pour les reptiles.
Véritable caverne d’Ali Baba, la maison de Philippe Gillet regorge de souvenirs d’Afrique et d’ailleurs : casques et statuettes, quelques ivoires, une collection d’armes anciennes - dont une «arbalète pygmée». De nombreux objets à vocation plus scientifiques s’entassent dans l’entrée, entre des modèles anatomiques d’amphibiens et quelques crânes. Autant de vestiges d’une époque où l’association déployait des modules pédagogiques au sein de galeries commerciales - jusqu’à quatre par an à leur apogée. Après un temps de flottement post-Covid, les réseaux sociaux se sont imposés comme un nouveau moyen d’aller à la rencontre du public.
Recueillir et instruire
Maniant humour et bonhomie, les vidéos de Philippe Gillet - réalisées puis montées par les bénévoles de l’association - lui offrent un cadre pour battre en brèche les idées reçues et pour sensibiliser plus de monde que jamais à la cause animale. Elles se sont également avérées être une bouée de sauvetage financière plus que bienvenue pour Inf’faune. «Il faut bien nourrir tout ce monde mal-aimé !», explique Philippe Gillet, agenouillé devant Nilo, un jeune crocodile du Nil. La bête prend un bain de soleil dans le jardin, l’air placide, sans prêter attention aux trois poules qui virevoltent autour de son museau. «Il est un peu gras, du genre à réclamer sans cesse du poulet. Mais regardez-le ! Il est en train de devenir un loukoum sur pattes», décrit l’expert.
Sa ménagerie n’a pas été amassée du jour au lendemain. Agréée pour la détention de ces animaux sauvages par un certificat de capacité, avec l’autorisation de la direction départementale de la protection des populations (DDPP), l’association sert de point de chute à des reptiles abandonnés, recueillis par des familles souhaitant s’en débarrasser, ou encore saisis par les douanes, à l’aéroport de Nantes ou d’ailleurs. Des entrées non déclarées souvent accidentelles, en provenance de pays exotiques. «On a récupéré une mygale qui était arrivée dans un conteneur à bananes, et juste avant, nous avons eu un iguane arrivé de Guyane, un scorpion du Sénégal et une tortue de Saint-Barthélemy», énumère Philippe Gillet. En mars 2023, le spécialiste était ainsi intervenu pour récupérer le scorpion à queue grasse qui avait piqué un passager, sur un vol Paris-Dakar.
Chaque année, son association recueille une fraction infime des milliers d’animaux sauvages saisis en France par les douanes ou les pompiers. Des quantités telles, que les parcs et refuges existants ne suffisent pas à accueillir tout le monde. «La loi interdit de les renvoyer dans leur pays d’origine, car cela présente des risques de transmission de maladies. On ne peut pas les relâcher dans la nature. Et on ne va pas non plus tuer ces animaux. Donc on les recueille», explique Philippe Gillet, qui précise n’avoir jamais bénéficié de la moindre subvention publique. Pour rester en conformité avec la loi, le spécialiste a aménagé son domicile en conséquence. L’accès dans sa «pièce à serpents» se fait par un sas. La température y est plus élevée, et un double vitrage anti-effraction barre une embrasure. Enfin, les caméras pullulent. Autant de mesures destinées à prévenir toute fuite malencontreuse - ou à dissuader les voleurs.
«Malheureusement, il existe un véritable marché pour certains animaux. Certains se retrouvent en possession de bêtes dangereuses sans même s’en rendre compte», soupire Philippe Gillet, en pointant du doigt un serpent magnifique, couleur émeraude, enroulé le long d’une branche. «C’est un mamba vert , un des serpents les plus dangereux de la planète. Son venin est mortel. Le gars qui me l’avait amené l’avait acheté je ne sais où, avait commencé à en avoir peur et ne savait plus quoi en faire».
L’ancien guide de chasse fait valoir sa longue expérience aux côtés des reptiles pour mieux transmettre ses connaissances auprès des jeunes, sur les réseaux sociaux. Et pour rappeler que les reptiles ne sont pas des objets décoratifs ni des jouets. «Un animal, c’est un ambassadeur de son espèce, et pour le comprendre il faut entrer dans son intimité, vivre en symbiose avec eux. Le comprendre c’est ne plus en avoir peur», vante-t-il. Même à destination des plateformes numériques, son travail n’est pourtant pas sans risque.
Être influenceur animalier, peut en effet tourner au drame. Graham Dinkelman, un Youtuber sud-africain à plus de 115.000 abonnés, est mort en octobre dernier, après avoir été mordu par un mamba vert. Figure populaire de la médiation animalière à la télévision, le «chasseur de crocodiles» australien Steve Irwin était lui aussi décédé sur le terrain, piqué par une raie pastenague en septembre 2006. Philippe Gillet s’estime heureux d’être passé entre les mailles du filet. «Je n’ai été blessé qu’à deux reprises dans ma carrière. Une fois, le crochet d’une vipère m’a éraflé un doigt ; ça m’a valu trois jours de réanimation. La seconde blessure était plus grave. Je la dois à la balle d’un braconnier africain.» L’anecdote encapsule sa philosophie. «L’animal a plus peur que nous. Nous sommes les plus dangereux sur la planète. Mais avec un peu de connaissances, nous pouvons atténuer les dégâts.»