Saint-Ouen : «Quand une école recule, c’est la République qui abdique»

Naïma M’faddel est experte de la politique de la ville. Engagée pour la cohésion sociale et la lutte contre les inégalités territoriales, elle est également co-autrice, avec Olivier Roy, du livre Et tout ça devrait faire d’excellents Français – Dialogues sur les quartiers (Le Seuil, 2017).


À Saint-Ouen, une école maternelle pourrait être déplacée. Non pas pour des travaux, ni pour la moderniser. Il la déplace pour fuir les trafiquants de drogue. Ce n’est plus un fait divers. C’est un signal d’alarme. Une école publique contrainte de quitter le terrain, c’est la République qui cède devant la loi des caïds.

Et que fait la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne ? Elle approuve. Elle parle de «bon sens». En réalité, ce n’est ni du bon sens, ni du pragmatisme. C’est un renoncement. Une humiliation infligée à l’autorité de l’État, aux enseignants, aux enfants, et à tous les habitants qui croient encore en la promesse républicaine.

Les chiffres donnent le vertige : dans la cité Michelet, un point de deal rapporte jusqu’à 1,4 million d’euros par mois. Dans d’autres secteurs de Saint-Ouen, le trafic dépasse 11 millions d’euros par an. Ces narco-économies fonctionnent avec des structures bien huilées, où la main-d’œuvre est recrutée jeune, corvéable et remplaçable : des mineurs. Guetteurs, transporteurs, parfois armés. Recrutés tôt, sacrifiés vite. Tout le monde le sait. Personne n’agit.

Faut-il rappeler les émeutes de 2023 ? Des dizaines de villes françaises dévastées. Commissariats incendiés, mairies saccagées, commerces pillés, écoles détruites. Et selon les chiffres officiels, 50 % des émeutiers étaient des mineurs. Une guérilla urbaine menée par une jeunesse livrée à elle-même, sans repères, sans limites. Et pourtant, aucune réforme n’a suivi. Aucune remise en cause. Aucun virage.

Pourquoi ? Parce que le pouvoir politique a peur. Peur de nommer les causes. Peur de parler de responsabilité parentale. Peur de conditionner les allocations ou le logement social au respect de la loi. Peur d’envisager des sanctions familiales. Peur, enfin, d’imposer une présence régalienne, y compris militaire, là où la police ne suffit plus.

Or il faut le rappeler avec force : l’État de droit n’est pas un concept abstrait. C’est d’abord la garantie, pour chaque citoyen, d’être protégé et en sécurité, quel que soit son lieu d’habitation. Vivre dans une cité ne devrait jamais signifier vivre sous la menace, ni subir le règne de l’impunité. Là où la République recule, l’injustice s’installe. Et ce sont toujours les plus fragiles qui paient le prix du désengagement.

Quand une famille protège un mineur délinquant, elle doit en assumer les conséquences. Quand un quartier est pris en otage, il doit être repris.

Pendant ce temps, les vraies victimes – les familles honnêtes, les enseignants, les enfants, les habitants – subissent en silence. Elles fuient. Elles se taisent. Elles se sentent abandonnées. Et pourtant, ce sont elles que la République devrait protéger en premier.

Nos dirigeants, eux, valident passivement l’ensauvagement progressif du pays. Ils laissent prospérer des gangs organisés, des zones de non-droit, des réseaux qui profitent de chaque recul de l’État. Ils déplacent les écoles au lieu de déplacer les trafiquants. Ils s’adaptent au désordre au lieu de le combattre.

Il faut rompre avec cette logique de repli. Quand la police ne suffit plus, il faut des moyens d’exception. Y compris militaires, si nécessaire. Quand une famille protège un mineur délinquant, elle doit en assumer les conséquences. Quand un quartier est pris en otage, il doit être repris.

Car le vivre-ensemble ne peut exister sans l’application de la loi. Partout. Pour tous. Et si l’on ne commence pas par protéger les victimes, alors la République aura déjà quitté ces quartiers.