Retraites : la Cour des comptes prévoit un déficit de 15 milliards d’euros en 2035 sans nouvelle réforme

C’était un rapport particulièrement attendu, dont les conclusions impartiales devront mettre tout le monde d’accord. Ce jeudi, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a remis au premier ministre un état des lieux de la situation financière et des perspectives du système de retraite, pour servir de base aux discussions entre les partenaires sociaux, qui auront trois mois pour se mettre d’accord sur une réforme du système actuel. Présentant son rapport comme «indiscutable», la Cour des comptes se garde bien de faire la moindre recommandation, mais ces 95 pages parlent d’elles-mêmes : pour préserver durablement le système, une nouvelle réforme est primordiale.

C’est le calme avant la tempête. La Cour constate «un léger excédent» du système en 2023, de 8,5 milliards d’euros, dû en partie aux dernières réformes et à l’impact de l’inflation (qui se répercute plus rapidement sur les recettes que sur les dépenses), mais constate un déficit dès 2024, lequel ne fera que s’alourdir. La Cour explique le surplus par le mode de calcul englobant les six grandes catégories de régimes de retraite : le régime général, celui des non-salariés, des fonctionnaires civils et militaires, les régimes spéciaux (SNCF, RATP, etc.), la caisse des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (CNRACL) et les régimes complémentaires obligatoires (Agirc-Arrco, RAFP, etc.).

Le «déficit caché» du régime des fonctionnaires

Le rapport de la Cour a d’ailleurs voulu clarifier une bonne fois pour toutes l’épineuse question d’un «déficit caché» du régime des fonctionnaires, qui a fait couler beaucoup d’encre, en insinuant qu’un employé public coûterait bien plus cher à l’État qu’un salarié du privé à son entreprise. «Il n’existe aucun déficit caché des retraites des fonctionnaires», assène Pierre Moscovici. Bien que l’État cotise à un taux bien plus élevé (126% pour les militaires et 78% pour les fonctionnaires civils), ce taux ne saurait être comparé avec celui des employeurs privés selon la Cour, notamment car l’assiette des cotisations est différente (les fonctionnaires ne cotisent pas sur leurs primes, qui sont une part substantielle de leur rémunération), que les montants versés représentent le régime de base et le régime complémentaire et que des règles spécifiques s’appliquent à certains emplois publics (comme le départ à la retraite des militaires). Alors que François Bayrou affirmait pourtant, lors de sa déclaration de politique générale, l’existence d’un déficit de 45 milliards assuré par l’État, Matignon rétropédale sur cette analyse, confirmant désormais qu’il n’y a «aucun chiffre caché», mais qu’il existe seulement «un problème de lisibilité», que ce rapport vient mettre en lumière.

Pas de déficit caché donc, mais un système financier qui tangue déjà dangereusement. En regardant un à un les six régimes de retraites pris en compte par la Cour, l’excédent de 2023 se transforme en château de cartes. Les retraites complémentaires obligatoires affichent un excédent de 9,9 milliards, alors que le régime général, qui représente à lui seul 42% des prestations de retraite, est déjà déficitaire de 200 millions d’euros. La CNRACL verse encore plus dans le rouge, avec déjà 2,5 milliards de déficit. Les conclusions du rapport prévoient par ailleurs qu’en l’absence d’une nouvelle réforme, ces deux régimes seront de plus en plus déficitaires.

Un déficit de 15 milliards d’euros en 2035

L’équilibre financier du régime général constitue ainsi l’enjeu principal de l’avenir du système. Si rien n’est fait, la Cour table sur un déficit total, tous régimes confondus, de 15 milliards d’euros en 2035 et de 30 milliards en 2045. «Une dégradation nette, rapide et croissante», souligne Pierre Moscovici, malgré quelques timides économies permises par la réforme de 2023. En réduisant le nombre de nouveaux retraités - grâce au recul de l’âge de départ -, elle engendre une économie de 10 milliards d’euros d’ici 2030. Selon la Cour, abroger cette réforme impliquerait donc de trouver 10 milliards d’euros supplémentaires, qui s’ajouteraient au déficit prévu.

«La réforme de 2023 a bien eu des effets positifs sur la trajectoire du système de retraite, mais elle ne suffit pas à couvrir les besoins de financement du système, loin de là», martèle Pierre Moscovici. L’enjeu est donc d’aller encore plus loin. Fixer à 63 au lieu de 64 ans l’âge légal de départ coûterait 5,8 milliards d’euros, alors que le porter à 65 ans permettrait d’économiser jusqu’à 8,4 milliards d’ici 2035. Ce levier de l’âge légal produirait des effets importants à court terme, mais plus réduits à moyen terme. C’est cependant une ligne rouge pour une large partie des syndicats, qui ne manqueront pas de le rappeler lors des discussions avec le patronat.

Plusieurs leviers pour assurer un équilibre du système

Outre l’âge pivot, la Cour des comptes présente plusieurs autres leviers qui permettraient d’assurer le financement pérenne du système. La réforme de 2023 implique la prise en compte de 172 trimestres (43 ans) dans le calcul des droits à la retraite. Réduire le nombre d’années prises en compte à 42 ans dégraderait le solde des retraites 3,9 milliards d’euros en 2035. En revanche, l’allonger d’un an rapporterait 5,2 milliards. Un gain financier moindre que celui de l’âge légal, mais dont les bénéfices s’accroissent avec le temps. «Cela découle d’une montée en puissance plus lente de ces effets, qui continuent à s’amplifier sur les exercices ultérieurs», explique la Cour.

Plus technique et insidieux, le changement du nombre de trimestres pris en compte risquerait tout de même d’être aussi impopulaire que le report de l’âge de départ, qui avait fait sortir des millions de Français dans les rues en 2023. Les autres leviers relevés par la Cour concernent le montant des cotisations - mais dont la hausse pourrait avoir des effets négatifs sur l’économie, bien qu’ils soient difficiles à mesurer - et les conditions d’indexation des pensions. Une sous-indexation d’un point par rapport à l’inflation permettrait d’économiser 2,9 milliards dès 2025.

Avec ce rapport, qui rappelle l’inéluctable déficit à venir du système des retraites, la Cour des comptes a rempli sa part du marché. La balle est désormais dans le camp des syndicats et du patronat, à qui il revient d’étudier les différents leviers permettant d’assurer l’avenir du système de retraite. «Le seul scénario que nous faisons à ce stade, c’est celui d’un accord entre les partenaires sociaux», promet-on du côté de Matignon. L’entourage du premier ministre précise que François Bayrou «leur fait confiance pour s’emparer de ce rapport». Les représentants des salariés et des entreprises, qui devraient se réunir pour la première fois en fin de semaine prochaine, choisiront d’ailleurs toutes les thématiques à aborder. «Le gouvernement ne met rien sur la table», martèle Matignon. «Il ne fait que remettre en chantier le sujet des retraites». Un chantier immense, que les syndicats et le patronat sont maintenant les seuls à pouvoir terminer.