«Paralysie française», «hara-kiri politique», «chaos fiscal» : la presse internationale consternée après la chute de François Bayrou
Un peu avant 19 heures, lundi 8 septembre, l’Assemblée nationale a infligé un cinglant désaveu à François Bayrou. Le premier ministre, qui avait lui-même réclamé la confiance des députés en invoquant l’article 49.1 de la Constitution, a essuyé une défaite cuisante : 364 parlementaires ont voté contre lui, seulement 194 pour. Une première dans l’histoire de la Ve République.
Jusque-là, jamais un chef de gouvernement n’avait provoqué sa propre chute en demandant volontairement un vote de confiance qu’il était (presque) certain de perdre. Après neuf mois à Matignon, François Bayrou rejoint donc la liste des premiers ministres éphémères d’Emmanuel Macron. Il est le quatrième à tomber en moins de deux ans.
Passer la publicitéL’Amérique diagnostique une «paralysie» française
Depuis, cette nouvelle crise politique française fait la une de la presse internationale. À commencer par les journaux américains. «Le gouvernement français s’effondre, une fois de plus», titre le New York Times en ouverture de son site. Un «une fois de plus» piquant et pourtant, c’est le sentiment qui domine dans la presse internationale ce mardi matin : la lassitude face à une France qui semble s’enfoncer dans une crise politique sans fin.
Pour le New York Times, la France est désormais «réduite à une instabilité politique chronique et incapable de faire face à sa crise financière croissante». Le quotidien new-yorkais, qui place l’information en tête de son site, insiste sur le mot «paralysie» et souligne la dimension répétitive de ces crises gouvernementales à répétition. Il va même jusqu’à citer le politologue Alain Duhamel qui compare la situation actuelle à 1958. Lequel analysait ce lundi dans les colonnes du Monde : «Mais en 1958, il y avait une alternative en la personne de De Gaulle. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il avait incontestablement un projet.» Le Wall Street Journal va dans le même sens et évoque un «chaos politique et fiscal» qui s’aggrave.
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Londres pointe «l’instabilité» qui handicape Macron
Côté britannique, le Guardian titre sur le fait que «la chute de Bayrou et un Parlement divisé n’offrent guère la stabilité dont Macron a besoin». Le journal de centre-gauche analyse cette nouvelle crise comme un obstacle supplémentaire pour un président qui tente de jouer un rôle international sur les dossiers ukrainien et gazaoui. «Macron est désormais confronté au défi de nommer son troisième premier ministre en seulement un an, et le cinquième depuis qu’il a commencé son deuxième mandat en 2022», note Angélique Chrisafis, correspondante à Paris.
Toujours outre-Manche, le Times met l’accent sur le contexte social explosif. Le quotidien, plus conservateur, titre : «Macron perd son premier ministre quelques jours avant les manifestations et la grève.» Adam Sage, correspondant du journal à Paris, décrit une France au bord de «nouvelles turbulences politiques, troubles sociaux et incertitude économique», avec des manifestations nationales prévues dès mercredi dans le cadre du mouvement «Bloquons tout !».
Le Financial Times adopte, quant à lui, un angle plus économique et s’inquiète des conséquences pour les marchés. «La chute de Bayrou exacerbe l’instabilité politique du pays et les problèmes de crédit qui y sont associés, compte tenu de l’important déficit budgétaire et de la trajectoire croissante de la dette», observe Thomas Gillet, analyste chez Scope Ratings (une agence de notation de crédit). Lequel ajoute que «le ratio dette/PIB de la France augmentera à plus de 120% dans les années à venir» et rappelle que l’agence Fitch doit publier vendredi un nouvel avis de crédit pour la France, avec une perspective négative.
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Passer la publicité«Un Parlement aux allures de Rubik’s Cube»
Chez nos voisins allemands, même désillusion. Le Süddeutsche Zeitung évoque un «blocage majeur» et note, lui aussi, que Macron devra nommer «un cinquième Premier ministre en seulement deux ans, une première dans l’actuelle Cinquième République». Le quotidien munichois relève avec ironie que «le conciliateur n’a pas répondu aux attentes» et que Bayrou «n’a jamais essayé de négocier avec l’opposition».
La presse espagnole se montre tout aussi critique. El País s’alarme de la nouvelle «crise» politique française. Pour y faire face, le président de la République. «Sans budget, avec une dette de 113 % du PIB et un déficit de près de 6 %, et un Parlement aux allures de Rubik’s Cube, Macron devra peser le pour et le contre : trouver une figure de consensus capable d’apaiser la situation et de terminer le mandat – sa première intention – ou dissoudre l’Assemblée pour soumettre le pays à de nouvelles élections», analyse le journal ibérique. Son concurrent El Mundo évoque pour sa part «le chaos total» qui se prépare en France et qualifie la démarche de Bayrou de «hara-kiri politique».
En Italie, le Corriere della Sera s’interroge sur le vote de confiance initié par François Bayrou. «Peut-être, lorsqu’il a annoncé cette décision le 25 août, savait-il déjà qu’il allait perdre et s’est-il sacrifié par fierté nationale ; peut-être a-t-il simplement fait une erreur de calcul, comptant sur le soutien de Marine Le Pen et des socialistes, qu’il a immédiatement perdu», suppose le quotidien milanais. Et si l’«épreuve de vérité» voulue par François Bayrou est un échec, elle pourrait aussi ressembler à une rampe de lancement. «Il quitte la scène, du moins pour l’instant, peut-être pour se donner une longueur d’avance et présenter sa propre candidature improbable aux prochaines élections présidentielles», s’avance le correspondant Stefano Montefiori.
Le spectre de Marine Le Pen
À des milliers de kilomètres de Matignon, au Japon, l’actualité politique française n’a pas non plus échappé à l’Asahi Shimbun . Le quotidien tokyoïte enfonce le clou et titre sur «le quatrième changement de premier ministre en deux ans». Le journal nippon s’attarde ensuite à son tour sur les difficultés d’Emmanuel Macron à trouver un successeur et parle de «choix difficiles» pour le président français.
Un nom revient dans presque tous les articles : Marine Le Pen. La presse internationale souligne que la dirigeante du Rassemblement national, bien que condamnée pour détournement de fonds, reste au centre de l’échiquier politique. Le New York Times note qu’elle «continue de captiver une grande partie de la société française, signe d’une exaspération généralisée et croissante face au statu quo». De son côté, le Financial Times rappelle que selon les sondages, son parti arriverait en tête en cas de nouvelles élections législatives avec 33% des voix.