Laurent Mauvignier remporte le prix Goncourt 2025

Le Prix Goncourt a été attribué à La Maison vide (Minuit) de Laurent Mauvignier, au premier tour, par six voix contre quatre à Caroline Lamarche (Le bel obscur, Seuil). Emmanuel Carrère n’a obtenu aucune voix.

Copieux et ambitieux, le dixième roman de Laurent Mauvignier, âgé de 58 ans, constitue le sommet de son art narratif, qu’il peaufine depuis plus d’un quart de siècle. Sorte de fresque symphonique ou d’oratorio démesuré, La Maison vide retrace en 750 pages, et sur trois générations marquées au fer par deux guerres mondiales, l’histoire romancée de ses aïeux, vue du côté des femmes.

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Nous voilà dans une bourgade de Touraine, La Bassée, double fictif de Descartes, où Mauvignier a grandi, et qui fut le berceau de l’académicien injustement oublié, René Boylesve, qu’il cite en épigraphe. C’est là le cadre, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à la Libération, de l’histoire d’une « catastrophe familiale » qui s’est jouée, patiemment reconstruite par Mauvignier, en un « récit diffracté d’un monde » englouti. Récit chronologique constitué d’archives, de photos jaunies, de vieilleries retrouvées, de missives intimes, de reliques, en soulevant la poussière, mettant à jour l’obscur le plus sombre d’une famille apparemment banale. Et le reste est fiction, imagination, échos captés, étranges vibrations venues d’antan, puisque, nous dit-il, « la réalité vécue s’est dissoute ». Un passé qui continue de jeter son ombre portée sur les descendants, jusqu’au père de Mauvignier, suicidé quand celui-ci avait 16 ans.

Deux protagonistes sont au cœur de cette Comédie humaine à l’envers qu’est La Maison vide. L’arrière-grand-mère de Mauvignier, Marie-Ernestine Chichery, née Proust, mariée à Jules, riche propriétaire terrien, tué au feu en 1916, et sa fille, Marguerite, née en 1913, éternelle victime de « toute cette chiennerie humaine faite de méchanceté et de bêtise ».

Fardeau des héritages

Que nous dit La Maison vide, dans une langue de haute tenue, portée par une voix chuchotante ? Le fardeau des héritages, la tutelle des anciens, les destins condamnés, les violences conjugales et familiales, « l’opacité du silence », « les histoires obstinément tues ». Autant de thèmes qui traversent son œuvre entamée en 1999 avec Loin d’eux, et auxquels on pourrait ajouter les troubles de l’identité, la fatalité sociale, le sentiment de culpabilité et le chaos du monde. Tout en explorant le « désordre des âmes ».

« La langue ne sert pas à fuir là d’où l’on vient, elle sert à y revenir, à accomplir ce retour sur soi. » C’est ce qu’affirme Mauvignier dans un livre d’entretiens publié parallèlement à La Maison vide, Quelque chose d’absent qui me tourmente.

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Après la publication aux éditions de Minuit de Loin d’eux, roman écrit en trois mois, et avec le soutien de son ami le romancier Tanguy Viel, Mauvignier restera fidèle à son premier éditeur. L’année suivante, il publie Apprendre à en finir, longue complainte d’une femme meurtrie, récompensé par le prix du Livre Inter.

Il attendra 2006 pour connaître son premier succès public avec Dans la foule, couronné par le prix Fnac, son 5e roman, aussi noir que magnifique sur la tragédie du stade du Heysel, survenue en 1985 à Bruxelles. Suit trois ans plus tard, l’audacieux et virtuose Des hommes, récit sur la guerre d’Algérie quarante ans après, à travers le portrait des trois anciens appelés, originaires de La Bassée. Boudé par les jurés des grands prix littéraires, l’ouvrage est brillamment adapté à l’écran en 2020 par Lucas Belvaux, avec Gérard Depardieu dans le rôle principal.

Cette même année 2020, Mauvignier publie son 9e roman, et en profite pour changer de cap et de voilure, reprenant à son compte les codes du thriller, du roman noir et rural, sous forme d’un huis clos angoissant, qui se prolonge sur plus de 600 pages.

Brio narratif

Et là aussi, outre ses thèmes récurrents dont le noyau central est la violence sous tous ses angles, on y retrouve ce souci égal de la langue et des mots, servi par une extrême acuité du regard (Mauvignier avait fréquenté les Beaux-Arts de Tours) et un brio du flux narratif, au débit mouvementé, mais parfaitement maîtrisé.

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Marqué à l’adolescence par la lecture de Marguerite Duras et de Valère Novarina, puis par celle de Claude Simon (publié chez Minuit), de François Bon, l’auteur de Sortie d’usine, et de Thomas Bernhard, bref, ceux qui ont renouvelé le roman en le réinventant, Mauvignier est resté fidèle à ses engagements littéraires et à sa ligne de conduite narrative, exigeante si l’on veut, efficace, à n’en pas douter. Tout en prenant son temps, pour peaufiner, lustrer, perler, sertir.

Toujours dans Quelque chose d’absent qui me tourmente (titre emprunté à un mot de Camille Claudel adressé à Rodin), le discret Mauvignier confiait : « Ce qui compte, ce n’est pas de cibler un sujet, un thème, c’est d’écrire un livre pour connaître le livre qui veut s’écrire ; c’est dessiner les contours d’une forme pour que cette forme se trouve et se désigne à elle-même. »

Une hauteur de vue et une prise de position littéraire qui vont à contre-courant de ce qu’on peut lire aujourd’hui.