Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Chaque semaine, il décrypte l’actualité pour FigaroVox. Il a publié Journal d’un prisonnier (Fayard, 2025). Il est également président d’Avocats sans frontières.
Un jour, j’écrirai comment j’ai vu mourir la justice française. Phénomène sans doute insécable du nivellement général par le bas et de l’idéologisation professionnelle fût-elle inconsciente, je ne reconnais plus mes tribunaux. Il y a trente ans, je pouvais prédire assez sûrement l’avenir de mon client coupable, aujourd’hui, je tremble pour mon client innocent. Je lui déconseille d’entreprendre une action légitime sauf nécessité vitale ou devoir impérieux de la faire savoir, au regard du délai imprévisible autant qu’interminable dans lequel il pourra espérer entrevoir le moment où sa demande pourra être examinée. Un mauvais dossier peut prospérer tandis qu’un excellent périr, tant toute notion de sécurité juridique est devenue chimérique.
Passer la publicitéIl y a trente ans, j’étais un auxiliaire sûr de sa justice, aujourd’hui je suis un justiciable craintif. Enfin, je tiens à contester cet injuste grief qui taxe notre justice de laxiste. Elle l’est infiniment s’agissant des crimes de sang, mais bien plus implacable paradoxalement – y compris quand les preuves manquent – lorsqu’il ne s’agit que d’argent. C’est dans ce contexte sinistre, que je me propose de commenter l’affaire Sarkozy et ses commentaires.
Mais avant tout, je tiens à faire observer, que nul en France la veille de la décision, n’avait osé imaginer pareille sentence. Pour une excellente et logique raison : le Parquet n’avait pas requis l’exécution provisoire de celle-ci. Cette décision était donc, littéralement, inimaginable. Je ne m’étendrai pas inutilement sur le fond du dossier. Je le connais trop peu et trop bien ses protagonistes. Je ne puis m’empêcher d’écrire ici qu’avoir appris que certains de ceux-ci avaient accepté d’effleurer la main d’un terroriste condamné pour avoir fait sauter un avion d’UTA où se trouvaient 52 Français m’a profondément touché. Touchant à présent Nicolas Sarkozy, force est de constater que le début du commencement de la moindre preuve de la commission d’un acte ou de la réception d’un fruit de celui-ci n’a pas été rapporté, raison pourquoi la commission des délits principaux n’a pas été constatée.
Ce n’est donc que sur la base du délit subsidiaire d’association de malfaiteurs dont il a été dit à l’envi qu’il avait été imaginé pour attraper les mafieux que le tribunal a condamné un homme de plus de soixante-dix ans à une peine d’emprisonnement de cinq années. Celui-ci, paraît-il, ne pouvant ignorer ce qu’avaient fait ses collaborateurs dévoués. L’insistance qu’ils ont eue à dire au tribunal qu’effectivement ils ne savaient rien étant, selon lui, des plus suspecte…
Et pourtant, j’ai connu des dossiers où pareils collaborateurs, pour améliorer leurs affaires mal engagées, collaboraient avec la justice... On me permettra donc de suggérer que même s’agissant de ce délit fourre-tout, le Parquet National Judiciaire aura échoué à prouver quoi que ce soit, pas même une intention, contre un condamné à cinq ans de prison. Mais c’est évidemment s’agissant de l’exécution provisoire avec mandat de dépôt qui a été prononcée contre l’ancien président de la République, que l’avocat et le citoyen s’affligent.
L’avocat tient à écrire ici et maintenant solennellement qu’en quarante années d’exercice, il ne lui avait jamais été donné de voir l’un de ses clients, condamné en première instance pour un délit financier et s’étant présenté librement devant ses premiers juges qui n’avaient aucunement à redouter qu’il ne se présenterait pas devant les seconds, subir le sort infligé à l’ancien président de la République. Jamais.
Passer la publicitéLe citoyen tient à écrire à présent, qu’après que Marine Le Pen se soit vue peut-être condamnée à la peine de mort politique et Nicolas Sarkozy à l’humiliation suprême, en raison de l’usage inhabituel d’une exécution provisoire niant le droit effectif à un second degré de juridiction, il en arrive à douter du caractère apolitique de ces deux décisions. Or, pareille à la femme de César, dame Justice doit tout faire pour ne pas être suspectée. Force est de constater qu’elle n’aura pas ici fait beaucoup d’efforts qui pourtant ne lui auraient absolument rien coûté.
À ce stade de ces réflexions amères, et contrairement à ce que je peux lire ou entendre, il est loisible de critiquer une décision de justice, dès lors où l’on n’injurie ou ne menace les juges. Hier dimanche matin, j’ai eu le déplaisir d’entendre sur France Inter une journaliste faire le lien entre le discours de Nicolas Sarkozy prononcé spontanément et avec dignité au sortir du prétoire et les immondes menaces proférées contre la présidente du tribunal par des abrutis. Un esprit chagrin pourrait y déceler une manière d’instrumentalisation de faits divers, pour reprendre une terminologie chère à la radio de service public.
L’on ne doit applaudir bruyamment une condamnation pénale non définitive, sauf à attenter à la présomption d’innocence due à l’accusé appelant. L’extrême gauche politique s’est largement affranchie de cette règle élémentaire.
Gilles-William Goldnadel
Il n’en demeure pas moins que s’il s’avère exact que la présidente du tribunal a participé à une manifestation syndicale contre son futur justiciable, elle eut dû se déporter, comme l’a fait justement remarquer sur Europe 1, l’ancien bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Barreau de Paris, mon confrère Pierre-Olivier Sur. Cela en dit long sur le syndicalisme judiciaire.
Je tiens néanmoins, sans grandement me forcer, à écrire combien mon regard affligé sur la justice actuelle et certains magistrats ne m’empêche pas d’admirer le travail, l’abnégation, le courage et l’intelligence d’autres juges, nombreux, qui se dépensent sans compter leurs heures, dans des conditions morales et matérielles lamentables. Je ne suis pas certain que j’en aurais la force. L’on ne doit, en revanche, applaudir bruyamment une condamnation pénale non définitive, sauf à attenter à la présomption d’innocence due à l’accusé appelant. L’extrême gauche politique s’est largement affranchie de cette règle élémentaire. C’est ainsi, par exemple, que Marine Tondelier, quelques heures après la décision, postait sur X (anciennement Twitter) avec une euphorique ironie : « Merci à Nicolas Sarkozy et aux Républicains de toujours montrer l’exemple ». Cette fine sentence étant agrémentée d’une photographie de Nicolas Sarkozy en compagnie d’un François Fillon qui, au passage, aura bénéficié d’un zèle particulièrement expéditif du Parquet National Financier en pleine période électorale qui contraste, je puis en attester, avec l’infinie lenteur habituelle.
Je voudrais pour terminer évoquer le commencement de cette affaire. Elle débute par la publication le 28 avril 2012, par un hasard cosmique lors de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, par la pose sur le site Mediapart fondé par Edwy Plenel d’un article intitulé : « Sarkozy - Kadhafi : la preuve du financement » (de la campagne présidentielle précédente). Cet article avait pour preuve un document clé accablant : une note manuscrite en arabe du chef des services de renseignement libyen de Kadhafi. Il mentionnait un « accord de principe pour appuyer la campagne électorale du candidat ». C’est cette bombe journalistique qui a déclenché l’information judiciaire en juin 2013 pour corruption et financement illégal de campagne.
Passer la publicitéLes procédures initiées par Nicolas Sarkozy pour contester l’authenticité de ce document qualifié par lui de « faux grossier » ont été perdues. Et c’est ce document, origine de tout, qui a été qualifié par les juges qui ont décidé d’envoyer un ancien président de la République en prison nonobstant son appel de « probablement faux »...
Le lendemain, sur France Inter, le responsable de Mediapart était invité non pour s’expliquer sur ce faux éventuel, mais tout simplement comme journaliste indépendant, pour commenter impartialement la décision...
Le soir, invitée sur France TV, Évelyne Sire-Marin, vice-présidente de la très à gauche Ligue des Droits de l’Homme, en principe très attachée à la présomption d’innocence, est venue expliquer tout le bien qu’elle pensait de la décision de première instance en disant qu’on ne pouvait pas dire qu’il n’y avait pas de preuves.
Il n’aurait peut-être pas été totalement inutile de prévenir les téléspectateurs que celle qui s’exprimait avait présidé ce Syndicat de la Magistrature qui avait cloué au pilori du Mur des Cons un certain Nicolas Sarkozy... Après la faillite financière, la faillite politique, la faillite judiciaire, il ne manquait plus au bonheur français que la faillite de l’audiovisuel public...