Les Français plébiscitent la VF, une «exception culturelle», selon un sondage de l’Ifop

À la demande de l’association Les Voix, l’Ifop s’est penché sur la perception par les Français du doublage. Et celle-ci révèle qu’une large majorité d’entre eux (74%) préfère regarder les films en version française. Mais outre-Atlantique, les géants du streaming, à l’instar de NetflixDisney ou encore Amazon, menacent ce « savoir-faire ». Selon Patrick Kuban, président de l’association Les Voix, « ils ont déjà signé avec des startups notamment Deepdub et Eleven Labs pour contourner les studios de doublage français et fabriquer les versions françaises des films aux États-Unis par des IA ». Et d’ajouter : « nous les comédiens, on devient de la data, gratuite, pour ces logiciels nourris à base de séries, de spots publicitaires, ou encore d’émissions de télévision françaises. » 

Selon l’étude de l’Ifop, les Français, toutes catégories confondues, plébiscitent la version française et le doublage. À la question «préférez-vous regarder des films ou séries en VO sous-titrée ou en version française doublée ?», 81% des 50-64 ans et même 87% des plus de 65 ans choisissent la VF. Question de génération ? Pas tout à fait, car la VF est également largement préférée par les 18-24 ans (57%), les 25-34 ans (54%) et les 35-49 ans (71%). Le plus gros cortège de défenseurs de la VOST se trouve dans l’agglomération parisienne, où 44% des personnes interrogées se prononcent en faveur de la version originale, contre à peine un quart dans les agglomérations de province et un cinquième dans les communes rurales. Des préférences qui s’expliquent aussi par la très faible proportion des films proposés en province.

Les Français aiment la VF et sont prêts à la défendre. À la question « Vous seriez prêts à boycotter un film ou une série qui recourrait à des voix produites par l’intelligence artificielle ? » 73 % des sondés pourraient se mobiliser aux côtés des comédiens de doublage, et ce tout milieu, âge ou encore affinités politiques confondus. Quant à savoir si l’intelligence artificielle détruirait « un savoir-faire culturel français », 86 % des personnes interrogées répondent « oui ».

Le doublage perçu comme un art

Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, estime que « le doublage n’est pas perçu comme un simple service technique de traduction, mais bien comme un art, un patrimoine artistique vivant, qui incarne l’identité culturelle francophone. » Comme les acteurs du secteur, les Français interrogés « expriment une volonté claire : préserver les voix humaines qui donnent corps, émotion et nuance aux œuvres audiovisuelles », analyse-t-il. Si le doublage des films est assuré par l’IA, un savoir-faire français disparaîtrait, estiment les spectateurs de l’Hexagone. Surtout, « elle ne pourra jamais transmettre les mêmes émotions qu’un comédien humain (82%). » 

L’histoire du doublage remonte à loin. « Après-guerre, il y a eu des négociations avec les studios américains pour que le doublage des films soit réalisé en France », rappelle le comédien Patrick Kuban. Une traduction brute de l’anglais au français ne pouvait pas fonctionner : « il fallait adapter le texte à la langue, notamment sur les blagues ou les jeux de mots. Si on abandonne le doublage aux machines on risque de perdre la maîtrise de la langue », déplore-t-il.

Un encadrement légal qui fait défaut

L’association Les Voix demande au ministère de la Culture de prendre le sujet en main. Notamment sur le plan juridique. « Aujourd’hui, il n’y a pas d’encadrement légal, les studios n’ont pas l’obligation de faire appel à des comédiens pour doubler un film », alerte le comédien. Selon lui, il faudrait légiférer pour rendre le doublage par des comédiens obligatoires. Pour l’heure, malgré plusieurs rendez-vous, le ministère de la Culture refuse de se prononcer en faveur d’une « interdiction par la loi des voix artificielles dans le doublage VF ». 

Par ailleurs, comme dans la musique, la question des droits d’auteur se pose. En 2023, une comédienne a alerté l’association sur une ligne de son contrat avec un studio. On lui demandait son accord gracieux de cet enregistrement, pour toute forme d’utilisation. En enquêtant un peu, l’association Les Voix, avait fini par découvrir que les enregistrements étaient revendus à des startups spécialisées dans l’intelligence artificielle, comme le révélait Le Figaro. Le but : nourrir les machines et ainsi les rendre capables de créer des voix semblables à celles des humains sans faire appel à des comédiens.

L’IA fait peser une menace économique sur le secteur. En 2024, l’industrie du doublage employait plus de 7 000 intermittents du spectacle et près de 3 000 salariés. L’association Les Voix s’appuie sur une étude du Datalab d’Audiens - un groupe de protection sociale pour les professionnels de la culture, de la communication et des médias - révélant que « plus de 15 000 emplois directs sont menacés en Île-de-France. Cela représente 110 entreprises, leurs salariés ainsi que les comédiens non-salariés et un chiffre d’affaires global de 650 à 700 millions d’euros. » À en croire Patrick Kuban, la lutte pourrait s’internationaliser. « Le problème se posera aussi en Allemagne, en Italie, en Espagne ou même au Brésil », martèle le comédien.


Sondage Ifop réalisé pour l’association LesVoix.fr. Enquête réalisée auprès d’un échantillon de 1 000 personnes représentatif de la population française de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 9 du 10 avril.