Une première en France : 6 ans après leur divorce par consentement, un couple se retrouve remarié par décision de justice
Après six ans de divorce, voici que, par un jugement en date du 30 avril 2024 émanant du tribunal judiciaire de Versailles, deux ex-conjoints se retrouvent de nouveau mariés et ce, de manière rétroactive. En d'autres termes, ils sont censés n'avoir jamais divorcé. Le juge a d'ailleurs ordonné la mention de cette annulation en marge de leurs actes de naissance et de mariage. Or entre-temps, chacun a évidemment vécu sa vie, l'ex-époux allant même jusqu'à se pacser avec une nouvelle relation. En principe, cette seconde union doit donc être annulée elle aussi…
Comment en est-on arrivé là ?
Nous sommes en 2018. Un homme, appelons-le M. X, et une femme, Mme Y, décident de divorcer par consentement mutuel, grâce à une toute nouvelle procédure, qui ne nécessite plus de passer devant le juge. La loi du 18 novembre 2016 vient en effet d'alléger le divorce à l'amiable en le « déjudiciarisant » : il suffit, pour les deux intéressés, de prendre chacun un avocat, et de se mettre d'accord sur les modalités de la séparation. Ce qu'ils font. La résidence habituelle des deux enfants communs est fixée au domicile de Mme Y, qui recevra 650 € de pension alimentaire par mois, mais pas de prestation compensatoire (versée en principe lorsqu'il existe une forte disparité entre les revenus des deux époux). Les époux déclarant n'avoir aucun bien commun à partager, il sera également mentionné sur leur convention qu'il n'y a pas lieu à liquidation (opération destinée à chiffrer le patrimoine commun afin de le partager entre les époux). La convention est signée par les époux, contresignée par leurs avocats respectifs, et déposée au rang des minutes chez un notaire, comme le prévoit la loi.
Un déséquilibre économique
Seulement voilà, un an plus tard, Mme Y., qui est de nationalité étrangère, sans revenus, et maîtrisant mal le français, estime qu'elle a été flouée par les conditions de la séparation et qu'elle n'a pas été correctement conseillée. Et pour cause : elle n'a jamais vu son avocate, soutient-elle, pas plus qu'elle n'a échangé par écrit ou par téléphone avec elle. « Cette dernière a visiblement servi de prête-nom et n'a pris part ni à la négociation, ni à la rédaction de la convention, ni même à la signature en visioconférence du document, qu'elle n'a contresigné que plus tard », explique l'un de ses deux avocats dans cette procédure d'annulation, Capucine Bohuon, avocate associée du cabinet Canopy avocats. « Il en est ressorti une convention totalement déséquilibrée économiquement, au détriment de notre cliente : aucune prestation compensatoire n'a été envisagée alors qu'elle ne travaillait pas et que son époux était cadre supérieur, et aucune liquidation n'a été opérée alors que les époux étaient mariés sous le régime de la communauté légale depuis 17 ans ».
L'absence de consentement libre et éclairé
Le juge versaillais n'est toutefois pas entré dans l'appréciation du contenu de la convention, que ce soit pour en jauger l'équilibre ou pour examiner l'existence d'un éventuel dol (c'est-à-dire une manœuvre destinée à tromper, un mensonge par omission, etc.).
Il a simplement relevé que la preuve de la présence de l'avocate mise en cause n'était effectivement pas rapportée lors de la signature de la convention, que ce soit au cabinet de l'avocat de M. X, ou bien par visioconférence. Or cette présence était, dans l'esprit de la loi, « obligatoire et nécessaire à la constatation du consentement libre et éclairé de sa cliente au divorce et à ses effets », souligne le tribunal.
En d'autres termes, si la loi prévoit que chacun ait son avocat et bénéficie de conseils effectifs, c'est afin de garantir, en l'absence de juge, que chacun signe en connaissance de cause. À défaut, la convention doit être annulée. C'est la première fois que la justice se prononce dans ce sens.
Elle a pourtant déjà été saisie de demandes de nullité d'une convention de divorce, par exemple dans une affaire où les époux avaient été représentés par deux avocats faisant partie du même cabinet. De l'aveu même de la circulaire d'application de la loi de 2016, une telle situation est à proscrire en raison de risques de conflit d'intérêt, mais les magistrats ont refusé d'annuler la convention sur ce motif (cass. civ. 1re, du 1er décembre 2021, n° 20-16.656). Une frilosité compréhensible : « Avant 2016, les magistrats réservaient des demi-journées entières pour recevoir à la chaîne des homologations de divorce par consentement mutuel. Ils ont été débarrassés de ce contentieux chronophage, ça n'est pas pour le récupérer via celui des nullités contractuelles », consent Nicolas Graftieaux, l'autre conseil de Mme Y du Cabinet Canopy avocats.
Des conséquences en chaîne
En outre, les effets d'une telle nullité sont, pour l'instant, aussi vastes qu'inconnus. Le législateur de 2016 n'a en effet rien prévu en cas de nullité d'un accord qu'il imaginait probablement intangible, couvert par la garantie d'un acte d'avocat. Et pourtant, cette affaire illustre bien les limites de ce raisonnement. D'autant que le rôle du notaire est ici réduit à un dépôt au rang des minutes, c'est-à-dire une vérification purement formelle du document. Aucune comparaison possible avec l'ancienne homologation par le juge, de la convention de divorce.
Donc c'est désormais le droit commun des nullités qui doit s'appliquer : « Le contrat annulé est censé n'avoir jamais existé » et « les prestations exécutées donnent lieu à restitution » (article 1178 du Code civil). Un beau casse-tête en perspective, particulièrement dans les affaires où les anciens époux se sont remariés ou, comme ici, repacsés : cette seconde alliance est remise en cause, ainsi que tous ses effets (imposition commune, etc…).
En l'occurrence, la prestation compensatoire ne devra pas être restituée, puisque précisément il n'y en a pas eu (Mme Y pourra même au contraire désormais y prétendre), mais sinon cela aurait été une possibilité. La pension alimentaire, versée pour les enfants, a quant à elle un statut un peu particulier. Comme l'a souligné le juge dans cette affaire, M. X. n'en a pas demandé la restitution et, en tout état de cause, celle-ci lui aurait été refusée, s'agissant d'une obligation de contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants prévue par la loi. Pour régler la question de la liquidation du régime matrimonial, le juge renvoie les parties à un futur divorce par consentement mutuel ou judiciaire.
Négociation et renonciation au bénéfice du jugement
Pour l'instant, ces effets demeurent toutefois purement théoriques. Car le juge n'a pas assorti sa décision de l'exécution provisoire, ce qui signifie que tant qu'elle ne sera pas devenue définitive, elle ne pourra et ne devra pas être exécutée. Cela permet, si l'une des parties conteste ce jugement, d'en suspendre les effets, dans l'attente d'une éventuelle décision d'appel. Si en revanche, personne ne fait appel, le jugement deviendra définitif et pourra être exécuté. Les parties ont un mois pour se décider, à compter soit de la signification du jugement par l'une des parties à l'autre, soit de sa notification par le greffe du tribunal.
Plutôt que de persévérer dans la voie judiciaire, les « ex-ex-époux » ont aussi la possibilité de négocier une issue qui leur apporterait un peu plus de sécurité juridique. Ils pourraient ainsi s'accorder à l'amiable sur des mesures permettant de rectifier le déséquilibre économique de la première convention, en échange de quoi Mme Y. renoncerait au bénéfice de cette décision. « Une telle renonciation ne requiert aucun formalisme particulier. La Cour de cassation considère même qu'elle peut être tacite. Il serait donc possible d'insérer simplement une clause de renonciation dans un éventuel protocole transactionnel », indique Me Graftieaux.
Peu de temps pour réagir
Si vous êtes dans un cas similaire à Mme Y, sachez que vous avez en principe cinq ans pour demander la nullité de la convention de divorce. Mais en principe seulement. Car afin d'éviter de laisser planer trop longtemps ce risque juridique sur la tête des deux divorcés, il est très fréquent qu'une clause réduisant ce délai soit insérée, d'un commun accord, dans la convention de divorce. Vérifiez donc dans votre convention la durée du délai en question, qui ne peut pas être inférieure à un an.
En dehors des cas, somme toute très rares, de nullité de la convention de divorce, sachez qu'il est possible d'agir sur d'autres fondements, si vous estimez avoir été lésé(e).
Vous pouvez tout d'abord réclamer au juge aux affaires familiales un complément de part, si vous avez été lésé(e) de plus d'un quart (l'un des biens a été sous-évalué par exemple). « Ce prorata doit être calculé par comparaison avec la valeur marché au jour du partage. Une action en complément de part ne peut donc pas être liée à une augmentation de la valeur dans l'intervalle », précise Me Bohuon. En outre, vous ne pouvez saisir le JAF que dans les 2 ans du partage. Si en revanche c'est un bien qui a été oublié dans le partage, vous pouvez faire une demande de « partage complémentaire », une action qui présente l'avantage d'être imprescriptible. Enfin, le partage peut être annulé pour vice du consentement (dol, violence…). Par exemple si votre ex-conjoint vous a menti sur l'étendue de son patrimoine ou de ses revenus. Cette action se prescrit en revanche par cinq ans. Dans tous les cas, prendre un avocat sera obligatoire.