Eddington, l’horreur dans une société états-unienne en plein dérèglement
Eddington de Ari Aster ; États-Unis 2h28
Après Hérédité (2018), Midsommar (2019) et Beau is afraid (2023), on pensait avoir définitivement rangé le réalisateur états-unien Ari Aster dans une belle boîte étiquetée « films d’horreur ». À vrai dire, tout portait à un tel classement après avoir vu ses trois longs-métrages. C’était aller un peu vite en besogne. D’autant que, dans ces précédents opus, une étincelle toujours délirante aurait dû nous mettre la puce à l’oreille et, en l’occurrence, à l’œil. Le cinéaste même pas quadragénaire a des idées plein la tête et s’est sans doute aperçu du danger « Cela me convient d’être perçu comme un réalisateur de films d’horreur », confiait-il en 2023, « mais je sais que cette étiquette s’appliquera plus difficilement à mes prochains projets ».
Chose promise, chose due, comme on dit. Ari Aster, ou plutôt son dernier film, Eddington, a été sélectionné en compétition au Festival de Cannes. Une histoire à première vue déjantée – en réalité pas tant que ça – qui se déroule en 2020 à Eddington, petite ville (imaginaire mais allez savoir…) du Nouveau-Mexique, pendant la pandémie. Le Covid et surtout sa gestion par les autorités a généré, aux États-Unis, les comportements les plus fous, de l’incrédulité à la peur la plus vive. Dans cette bourgade, justement, Joe Cross (Joaquin Phoenix), shérif local, se retrouve confronté à Ted Garcia (Pedro Pascal). En litige, le port du masque, que le premier n’estime pas nécessaire contrairement au second. A priori rien d’exceptionnel ni de dramatique. Cet antagonisme entre les deux hommes, simple feu de paille à l’origine, va se transformer en un gigantesque incendie alimenté par toutes les tensions existant dans la société. Car au même moment, les États-Unis sont secoués par l’assassinat de George Floyd à Minneapolis dans le Minnesota. Le président des États-Unis, à cette époque, n’est autre qu’un certain Donald Trump, en fin de (premier) mandat. En route pour un western new style.
la prolifération du mouvement blanc suprémaciste
Ari Aster prépare un cocktail explosif en faisant interagir tout ce qui agite la société états-unienne, de la violence policière et son racisme endémique à la fascination pour les armes (et leur utilisation), en passant par la mauvaise conscience de jeunes wasps (anglo-Saxon blanc et protestant) face au vol des terres des populations indiennes (nous sommes au Nouveau-Mexique) et la prolifération du mouvement blanc suprémaciste. Ouf ! Sans parler des Noirs policiers qui deviennent doublement boucs émissaires, coupables nés ou en tout cas acceptables pour tous. Mais, American dream oblige, la figure d’Abraham Lincoln apparaît, rassurante, dans un extrait de Vers sa destinée (Young Mr Lincoln, 1939) de John Ford, interprété par le jeune Henri Fonda.
Tout y passe, le réalisateur n’hésitant pas à tourner des scènes d’affrontements armés à la manière d’un jeu vidéo, à insister sur l’ultra-prégnance des réseaux sociaux et le déferlement de fake news. Et puis, bien sûr, sur les prédicateurs en vogue outre-Atlantique, autre voie pour le succès financier et médiatique que tout le monde semble rechercher.
Le rythme du film est semblable à une locomotive à vapeur. Les bielles entraînent le mouvement d’abord lentement avant de s’accélérer et prendre une vitesse folle qui nous emporte. C’est ce qui se passe dans Eddington. La touche Ari Aster en quelque sorte pour un film beaucoup plus profond qu’il n’y paraît. Il témoigne aussi d’une perte de repères dans une société états-unienne secouée dans ses fondements. Au cinéma, l’horreur si chère au cinéaste peut prendre des aspects multiples.
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