Ces pays qui transfèrent leurs détenus étrangers vers leur pays d’origine et dont Gérald Darmanin veut s’inspirer

Gérald Darmanin veut s’attaquer au vieux sujet de la surpopulation carcérale. À ce jour, la France compte «quelque 82.000 détenus pour 62.000 places» a rappelé le ministre de la Justice dans un entretien accordé au Journal du Dimanche . «Plus de 4000 prisonniers dorment sur des matelas au sol». Une situation «indigne», déplore le garde des Sceaux. Pour libérer de la place dans les prisons françaises, Gérald Darmanin souhaite s’en prendre aux détenus de nationalité étrangère au nombre de 19.000 dans le pays, «soit 24,5% de la population carcérale». Pour le ministre, «le calcul est simple : si ces étrangers, ou même une partie d’entre eux, purgeaient leur peine dans leur pays, nous n’aurions plus de problème de surpopulation. Sans avoir à libérer ceux qui ne doivent pas l’être.» Toutefois, Gérald Darmanin insiste sur les différences entre les procédures de transfert des 3068 ressortissants de l’Union européenne et des 16.773 originaires de pays qui ne font pas partie des 27.

Actuellement, un «règlement européen permet aux États membres de transférer des ressortissants détenus, à condition de reprendre les siens. Et ce, sans le consentement du détenu», rappelle-t-il. Mais dans la pratique, la France ne l’applique pas, reconnaît le ministre, car «les parquets n’ont ni le temps ni l’organisation pour engager les démarches». Pour y remédier, l’ex-ministre de l’Intérieur a annoncé la mise en place dans les prochaines semaines d’une «mission spécifique au sein du ministère de la Justice» qui sera chargé «d’organiser quotidiennement le départ de ces détenus dans leurs pays d’origine». En ce qui concerne l’expulsion de détenus originaires de pays en dehors de l’UE, Gérald Darmanin a déploré que nos conventions avec ces États soient «mal négociées». Car en réalité, «la difficulté principale n’est pas l’accord du pays d’origine mais l’accord du détenu». C’est pourquoi le garde des Sceaux souhaite s’inspirer d’autres modèles appliqués dans différents pays, principalement européens.

Convention entre la Belgique et le Maroc

Dans cet entretien, le locataire de la place Vendôme a notamment pris l’exemple de la convention signée entre la Belgique et le Maroc. L’accord français avec ce pays du Maghreb prévoit que le détenu donne son accord pour être transféré - ce qu’il ne fait jamais, précise le ministre. En comparaison, la convention de la Belgique ratifiée en février 1999 permet, elle, d’outrepasser l’avis du prisonnier et de transférer les personnes condamnées vers le Maroc. «Cette question doit se poser de ministre à ministre, sans que le détenu ait un mot à dire», a estimé Gérald Darmanin. Ainsi, le ministre de la Justice a indiqué avoir «engagé» une discussion avec son homologue marocain et compte «adresser une demande similaire à l’intégralité de (s)es homologues».

Comme en France, la Belgique connaît une situation de surpopulation carcérale : elle comptait, en janvier 2025, 13.400 prisonniers pour 11.020 places et 40% d’entre eux sans la nationalité belge. Expulser les détenus étrangers est donc apparu comme une solution pour libérer des cellules. En 2023, 1428 prisonniers de nationalité étrangère (européenne ou non) avaient été expulsés, indiquait RTBF en mars 2024. Toutefois, très peu de chiffres ont été communiqués sur le nombre de Marocains incarcérés en Belgique ayant été transférés vers le Maroc, dans le cadre de la convention bilatérale. Seul un rapport du sénat belge datant de novembre 2020 indique que 5 d’entre eux avaient été renvoyés en 2012, 10 en 2013 et 3 en 2017. En 2022, le nombre de détenus marocains représentait 7,9% du total de la population carcérale belge.

Gagnant-gagnant

Pour Gérald Darmanin, ce modèle bénéficie également au pays d’origine qui peut renvoyer, en échange, des prisonniers français. «C’est mieux pour eux car ils seront proches de leurs familles», a soutenu le garde des Sceaux sur le plateau de BFMTV ce dimanche. À noter que le nombre de détenus français au Maroc est bien inférieur à celui des Marocains incarcérés en France. Dans le cas de la Belgique, le nombre de Belges emprisonnés au Maroc expulsés vers leur pays était bien moins élevé par rapport à celui des Marocains renvoyés au Maroc. D’après le rapport du Sénat, un ressortissant belge a été transféré en Belgique en 2012, un en 2013, un en 2014 et deux en 2016.

Néanmoins, un tel travail de collaboration ne pourrait être mené avec tous les pays, et notamment l’Algérie, en pleine crise diplomatique. Le garde des Sceaux a évoqué les États avec lesquels la France pourrait envisager un accord : le Maroc, la Tunisie, le Kosovo, l’Albanie, le Brésil, la Chine ou plus largement l’Asie du Sud-Est. «Ces pays ont tous des ressortissants condamnés en France pour trafic de stupéfiants, proxénétisme, blanchiment d’argent, criminalité organisée… Inversement, des ressortissants français peuvent y être détenus», a-t-il détaillé.

Sous-traiter l’emprisonnement

Outre l’expulsion vers le pays d’origine, la Belgique envisage la sous-traitance de l’emprisonnement auprès d’autres pays européens. Nos voisins belges l’avaient déjà fait en 2010 en envoyant de premiers détenus vers la prison de Tilburg aux Pays-Bas, alors considérée comme une extension du parc pénitentiaire belge, rappelle RTBF. Ce modèle d’externalisation a été appliqué par le Danemark, cité en exemple par Gérald Darmanin. En décembre 2021, le pays nordique avait annoncé louer plus de 300 places de prison au Kosovo afin d’y incarcérer ses détenus étrangers et libérer de l’espace dans les prisons danoises.

Le ministre de la Justice français a déclaré «étudier» la question, affirmant n’avoir «pour le moment, aucun contre-avis juridique». Il a par ailleurs mentionné le cas des Pays-Bas qui ont, eux aussi, annoncé en septembre 2024 leur volonté d’enfermer leurs criminels dans un autre pays, mais cette fois membre de l’UE : l’Estonie, dont les prisons sont à moitié vides. Ce plan concernerait 500 détenus, selon les premières estimations. La Suède a également dit envisager, en janvier dernier, de louer des espaces carcéraux à l’étranger, après une escalade de la criminalité dans le pays marqué par plusieurs fusillades et attaques à l’explosif. «Il doit s’agir de pays comparables situés à proximité, notre recommandation est que cela se fasse au sein de l’UE ou dans l’espace Schengen », a précisé Mattias Wahlstedt, le président de la commission d’experts chargée d’examiner la faisabilité du projet, sans donner d’exemple précis.

«Tous les pays le font sauf nous», a insisté Gérald Darmanin sur BFMTV, sans préciser vers quel pays il souhaitait externaliser les détenus. Cette décision sera prise dans les prochaines semaines, précise son entourage. Toutefois, cette solution a un coût. En septembre dernier, le Royaume-Uni s’est dit intéressé par ce modèle, souhaitant louer des locaux pénitentiaires en Estonie, avant de se rétracter en raison des coûts «considérables» et «significatifs» de la procédure, indique le Guardian. Pour avoir une idée du montant, près de 28 millions d’euros avaient été débloqués par le gouvernement norvégien en 2015 pour le transfert de 248 prisonniers norvégiens vers les Pays-Bas. D’après une source judiciaire française, sous-traiter l’emprisonnement à l’étranger reste, tout de même, moins onéreux que de l’incarcération en France.