«L’affaire Sansal est universelle» : l’appel de Jean-Michel Blanquer et 30 écrivains sud-américains pour la libération de Boualem Sansal

*Jean-Michel Blanquer fut ministre de l’Education nationale de 2017 à 2022 ; avant cela, il a présidé l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) de l’université Sorbonne-Nouvelle, entre 1998 et 2004.


Un homme, un écrivain, a été arrêté et emprisonné en raison de ce qu’il a pensé et écrit. Ce fait brut, illustration tant de fois réitérée d’une réalité politique immémoriale, vient de se répéter en Algérie, comme dans la Grèce du Ve siècle avant Jésus-Christ, dans la France monarchique ou impériale, dans le Chili du général Pinochet, dans l’Union soviétique de Brejnev. Et quand nous sommes confrontés à cette réalité aussi simple que brutale, nous ressentons ce qu’elle a d’éternel et d’universel.

Nous savons que Voltaire a écrit pour cela, que la Bastille a été prise pour cette raison, que les dissidents d’autrefois sont morts pour cette cause-là. Nos esprits pourraient être usés par la banalité de ce mal, lassés par cette vague tant de fois renouvelée, intimidés par la force du pouvoir face à la fragilité de l’être qui écrit. Et pourtant, nous savons que, à chaque fois, la liberté sort victorieuse, avec le temps, par-delà le cortège glorieux de ceux qui ont donné leur vie. Car la force est du côté du faible quand il brandit la liberté. Le temps joue pour l’opprimé tandis que l’angoisse est la compagne des dictateurs. Quand Hérode se fait porter la tête de Jean-Baptiste, il sait déjà qu’il est un vainqueur vaincu.

L’arrestation de Boualem Sansal rejoue une scène habituelle à laquelle nous ne devons pas nous habituer. Certains veulent la situer dans le théâtre de la relation franco-algérienne dont nous connaissons tous les ressorts avant chaque réplique. L’Algérie des généraux se nourrit de deux mamelles : le pétrole et le ressentiment, qu’ils prennent pour une énergie renouvelable. Mais l’épuisement de ce deuxième gisement finira par advenir devant l’absurdité d’une rhétorique qui nuit tant à ce grand pays. C’est pour l’avoir dit que Sansal est derrière les barreaux. Et c’est parce que nous sortirons de ce théâtre qu’il sortira de sa prison.

Un jour, le plus proche possible, dans un an, dans dix ans, dans un siècle, Daoud et Sansal apparaîtront pour ce qu’ils sont : les Voltaire et Diderot de notre époque.

Jean-Michel Blanquer

En effet, l’arrestation de Sansal ne concerne pas plus la France que le reste du monde. Bien sûr, il est citoyen français et la France a un devoir particulier à son égard, juridiquement et politiquement. Mais moralement, c’est le monde entier qui est comptable du sort de l’écrivain. Au travers de son cas, c’est celui de tous les prisonniers d’opinion de la planète qui se joue. C’est à ce titre que la pétition des écrivains latino-américains qui suit a tant d’importance. Elle est la première mobilisation d’intellectuels non européens pour Sansal. Mais elle n’est pas la dernière. Bientôt, sur chaque continent, d’autres voix se feront entendre, d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, de toutes les Amériques.

Si sa libération tarde trop, cette voix sera assourdissante et fera plus de tort au pouvoir qui a décidé d’embastiller un homme de quatre-vingts ans qu’une armée de combattants vigoureux.

Un jour, le plus proche possible, dans un an, dans dix ans, dans un siècle, Daoud et Sansal apparaîtront pour ce qu’ils sont : les Voltaire et Diderot de notre époque. Un jour, l’Algérie sera enfin libre et heureuse et elle célèbrera ses précurseurs. Aujourd’hui, ils sont voués aux gémonies par le chœur des zélotes d’un régime épuisé. Demain, ils seront vus comme des prophètes.

«Le passé est un gouffre pour qui vit au jour le jour et l’avenir une malédiction assurée», écrit Boualem Sansal dans Abraham ou La cinquième Alliance. Alors, ne vivons pas au jour le jour, voyons clair et loin : la libération de Sansal est l’horizon d’un combat qui dépasse nos contingences et notre temps.                                                                                                    

Jean-Michel Blanquer


Nous avons appris avec consternation l’emprisonnement arbitraire de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Cette arrestation non motivée a eu lieu le 16 novembre dernier à son arrivée à l’aéroport d’Alger sur un vol en provenance de Paris.

Nous, écrivains latino-américains, condamnons cette atteinte flagrante à la liberté de conscience et à la liberté d’expression. C’est avec des mots et des arguments, et non avec la prison, qu’il faut répondre aux mots. Boualem Sansal a 80 ans ; son seul tort a été d’exercer sa liberté de pensée et d’expression – par le biais de romans, d’essais et de déclarations – en traitant parfois, bien sûr, de son pays d’origine, l’Algérie.

Nous demandons aux autorités algériennes de libérer immédiatement notre collègue Boualem Sansal.


Les signataires : 

Sergio Ramírez (Nicaragua)

Piedad Bonnett (Colombie)

Gabriela Cabezón Cámara (Argentine)  

Luiz Schwarcz (Brésil)

Jorge Volpi (Mexique)  

Pablo Simonetti (Chili)

Renato Cisneros (Pérou)  

Sergio Dahbar (Venezuela)

Ana García Berguo (Mexique)  

Nona Fernández (Chili)

Gioconda Belli (Nicaragua)  

Juan Gabriel Vásquez (Colombie)

Pilar Quintana (Colombie)  

Lília Moritz (Brésil)

Carla Guelfenbein (Chili)  

Jeremías Gamboa (Pérou)

Claudia Piñeiro (Argentine)  

Arturo Fontaine (Chili)

Mario Jursich (Colombie)  

Óscar Contardo (Chili)

Rafael Gumucio (Chili)  

Mauricio García Villegas (Colombie)  

Ricardo Silva Romero (Colombie)  

Jazmina Barrera (Mexique)

David Toscana (Mexique)  

Héctor Abad Faciolince (Colombie)

Martín Caparrós (Argentine)

Karina Sainz Burgo (Venezuela)

Fernando Iwasaki (Pérou)

Melba Escobar (Colombie)

Rodrigo Rey Rosa (Guatemala)

Lina Meruane (Chili)

Alonso Cueto (Pérou)