La Fondation pour le Logement des Défavorisés efface le visage de l’Abbé Pierre
Depuis 22 heures ce lundi 17 mars, le visage de l’Abbé Pierre a disparu du site de la fondation autrefois éponyme. Il a été remplacé par une inscription noire : «Fondation pour le Logement», le nouveau nom de cette association spécialisée dans la lutte contre le mal-logement en France. Au centre du logo, une maison couleur «brique» est représentée, pour rappeler «le cœur de la mission à accomplir», surmontée d’un «coup de pinceau», a présenté plus tôt dans la journée Christophe Robert, le directeur général de l’organisation, lors d’une conférence de presse. La Fondation avait déjà annoncé avoir changé de nom en janvier dernier. En théorie, l’appellation complète est «Fondation pour le Logement des Défavorisées» mais pour des raisons «pratiques», les deux derniers mots n’ont pas été intégrés au logo. «On change de nom, mais pas de combat», a assuré le directeur.
Avec cette nouvelle identité visuelle, la direction espère ouvrir un nouveau chapitre pour l’association, secouée depuis juillet 2024 par les accusations de violences sexuelles visant l’Abbé Pierre, décédé en 2007. À ce jour, une trentaine de personnes accuse le prêtre d’être responsable de violences sexuelles commises sur une période allant des années 1950 aux années 2000. Certaines victimes présumées étaient enfants au moment des faits. Si aucune enquête pénale ne peut être ouverte pour cause de prescription, l’organisation cherche à se détacher de l’image de son fondateur dont le visage est sur tous les murs. «Il s’agit d’une marque de respect envers les victimes», a rappelé Christophe Robert devant les journalistes.
Pour autant, «nous assumons l’histoire de l’association», a assuré le directeur, pointant du doigt la courte phrase qui accompagne le logo : «Un combat en héritage.» «L’Abbé Pierre représentait beaucoup, on ne peut pas l’effacer. Mais malgré la colère, il faut continuer car le mal-logement persiste. Cette nouvelle appellation est porteuse d’espoir et de combativité», a-t-il détaillé. Aujourd’hui en France, plus de 4 millions de personnes sont mal-logées, dont 350.000 sont sans domicile fixe. Un chiffre en hausse de 140% depuis 2012.
Pertes financières
L’ancienne Fondation Abbé Pierre paye un lourd tribut depuis les récentes révélations. Alors qu’elle est financée à 97% par la générosité des Français, l’association subit «une baisse de 30% des dons de particuliers, qui représentent plus de la moitié des ressources. Soit une perte évaluée entre 5 et 7 millions d’euros», a regretté Christophe Robert. Le reste des fonds provient du «mécénat professionnel, de dons immobiliers ou d’assurances vie qui sont légués à l’organisation», précise-t-il. Avec le changement de nom et cette nouvelle identité visuelle, l’association compte ainsi «clarifier la situation» dans l’esprit des donateurs et retrouver leur soutien financier.
Pour le directeur, cette diminution des dons n’a eu, pour l’instant, qu’un «impact limité». La Fondation a «comblé les manques» grâce à ses économies mais ne pourra continuer «encore trois ans», a prévenu Christophe Robert, n’excluant pas la possibilité de faire un «grand appel à l’aide», comme l’ont fait les Restos du cœur en 2023 acculés par une explosion du nombre de demandeurs d’aide alimentaire, touchés par l’inflation.
Pourtant, à la chute des dons s’ajoutent les frais de changement d’identité visuelle. Pour l’heure, seule l’interface du site internet de l’association propose ces nouveautés, mais le visage de l’Abbé Pierre sera «le plus rapidement possible» retiré des murs des établissements et le nouveau nom remplacé. Le coût d’une telle opération ne sera communiqué qu’en septembre 2025 mais s’annonce élevé, a admis Christophe Robert.
Manque d’actions des pouvoirs publics
Les directeurs de la communication de l’organisation ont toutefois voulu se montrer rassurants sur l’avenir de la Fondation en présentant le large soutien de personnalités telles qu’Éric Cantona ou Jamel Debbouze. Une soixantaine d’entre elles a d’ailleurs signé une tribune, publiée ce lundi sur France Info, dans laquelle ils sollicitent la «générosité des Français» et soulignent «l’importance de poursuivre le combat».
Bien que 560.000 personnes aient été accueillies en 2024 par la Fondation, Christophe Robert a insisté sur le manque d’actions des pouvoirs publics, qui «ne sont pas au rendez-vous», a-t-il dénoncé. La situation de «crise» que traverse l’association doit donc provoquer un réveil, a-t-il espéré, réclamant que «le logement devienne l’une des quatre priorités du gouvernement». «J’appelle les préfets à se mobiliser pour réquisitionner les bâtiments vides. Le pays peut mettre tout le monde à l’abri», a-t-il lancé.
De son côté, la cellule d’écoute pour les victimes de l’Abbé Pierre, qui a recueilli la trentaine de témoignages et publié trois rapports, «continue son travail», assure Christophe Robert. Le directeur indique que ce cabinet indépendant mandaté par Emmaüs et la Fondation pour enquêter sur les agissements de l’homme d’Église reçoit encore des appels, mais «bien moins nombreux» qu’au début des révélations.