Quatre chiffres à retenir du rapport du Sénat sur les aides publiques aux grandes entreprises, estimées à 211 milliards d'euros en 2023

Combien de milliards d'euros d'aides publiques l'Etat verse-t-il aux grandes entreprises chaque année ? C'est l'une des questions auxquelles la commission d'enquête du Sénat sur l'utilisation des aides publiques a tenté de répondre. Selon son rapport final publié mardi 8 juillet, ces aides ont atteint 211 milliards d'euros en 2023, mais le calcul est approximatif. Les sénateurs, qui ont souligné le grand nombre de dispositifs de soutien aux entreprises, se sont inquiétés que personne, pas même l'administration, ne soit capable de chiffrer précisément les aides dont ont bénéficié les entreprises de plus de 1 000 salariés et qui réalisent un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros. La commission d'enquête appelle ainsi à un "choc de transparence et de rationalisation". Voici quatre chiffres à retenir de ce rapport sénatorial.

211 milliards d'euros d'aides versés en 2023

La commission d'enquête dirigée par le rapporteur Fabien Gay (Parti communiste) et le président Olivier Rietmann (Les Républicains) a calculé que l'Etat avait versé 211 milliards d'euros d'aides publiques aux entreprises en 2023. "Ce qui nous a stupéfiés, c'est qu'il n'existe aujourd'hui aucune définition précise des aides publiques et qu'il n'y a aucun tableau centralisateur : donc l'administration a été incapable de nous dire combien elle donnait, à qui et à quoi cela servait", a notamment déploré le rapporteur devant la presse.

Selon le rapport, ces 211 milliards d'euros d'aides comprennent les subventions, les prêts, mais aussi les allègements fiscaux et de cotisations. En revanche, cette somme ne prend pas en compte les aides versées par les collectivités locales et l'Union européenne. Ces 211 milliards d'euros se décomposent en quatre blocs : les aides versées par la banque publique d'investissement Bpifrance (41 milliards), les dépenses fiscales (88 milliards), les allègements de cotisations sociales (75 milliards) et les subventions aux entreprises (7 milliards). Le rapport note que ces aides "doivent s'apprécier dans un contexte global", alors que les prélèvements obligatoires des entreprises françaises figurent parmi les plus hauts en Europe.

Des centaines de millions pour Michelin, ArcelorMittal ou LVMH

Le rapport de la commission d'enquête, lancée dans un contexte de hausse des plans sociaux en France, s'arrête sur le cas de grands groupes ayant reçu des centaines de millions d'euros d'aides publiques malgré des licenciements. Auchan a ainsi "bénéficié entre 2013 et 2023 de 636 millions d'euros d'aides fiscales et de 1,3 milliard d'euros d'allègements de cotisations sociales", note le rapport, alors que le groupe a annoncé, en novembre 2024, son intention de supprimer plus de 2 300 emplois.

Les sénateurs, qui ont notamment interrogé 33 dirigeants de très grandes entreprises, ont aussi épinglé d'autres groupes qui ont continué à percevoir des aides et à verser des dividendes à leurs actionnaires, tout en menant des plans sociaux. Le géant de la sidérurgie ArcelorMittal, qui prévoit de supprimer 600 postes en France, "a versé en moyenne 200 millions d'euros de dividendes chaque année depuis dix ans au niveau mondial, alors qu'il a bénéficié en 2023 en France de 298 millions d'euros d'aides, 41 millions d'euros d'allègements de cotisations sociales et 40 millions d'euros de CIR [crédit d'impôt recherche]". Michelin et LVMH sont aussi cités : le rapport explique ainsi que le groupe de Bernard Arnault a touché 275 millions d'euros d'aides publiques en 2023, tout en distribuant des dividendes et en annonçant supprimer 1 200 postes dans sa filiale vins et spiritueux Moët Hennessy.

Plus de 2 200 dispositifs existants

Les sénateurs ont listé "2 252 dispositifs" d'aides publiques pour les entreprises. Il y a les exonérations de cotisations sociales, le crédit d'impôt recherche, les taux réduits de TVA, les prêts garantis par l'Etat ou encore l'aide à l'apprentissage, que le gouvernement a récemment réduit. Globalement, "84% des dispositifs d'aides concernent l'économie, le développement durable et la culture", note le rapport, qui décrit un millefeuille administratif. "Bien loin de présenter l'ordonnancement d'un jardin à la française, le paysage des aides publiques aux entreprises semble aujourd'hui éclaté et échapper à toute réflexion d'ensemble", peut-on lire dans les conclusions du Sénat.

Vingt-six propositions soumises par les sénateurs

Vingt-six propositions émanent des travaux des sénateurs, qui souhaitaient établir le coût des aides publiques aux entreprises, savoir si elles étaient correctement distribuées et réfléchir à leur conditionnalité. La commission appelle ainsi à "un choc de transparence", mais aussi de "rationalisation", de "responsabilisation" et d'"évaluation".

Les sénateurs veulent que l'Insee puisse créer, d'ici à 2027, "un tableau, actualisé chaque année, des aides publiques aux entreprises, en fonction de leur taille", ce qui n'existe pas actuellement. Ils veulent aussi "imposer le remboursement total" d'une aide si l'entreprise délocalise dans les deux ans le site ou l'activité l'ayant justifiée, et mieux encadrer les aides quand les entreprises versent des dividendes. Un meilleur suivi des nombreux dispositifs d'aide est aussi proposé, tout comme la création d'un guichet unique.