"On a oublié de nous dire merci" : la sortie d'Emmanuel Macron passe mal en Afrique
"Non, la France n’est pas en recul en Afrique, elle est simplement lucide, elle se réorganise." Lors de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs qui s’est tenue à l’Élysée lundi 6 janvier, Emmanuel Macron a balayé les grands sujets de politique étrangère : du retour au pouvoir de Donald Trump au conflit au Moyen-Orient, en passant par la guerre en Ukraine, sans oublier la présence française sur le continent africain.
Le président, qui avait dès le début de son premier mandat exprimé sa volonté de se tourner vers l'Afrique anglophone, est revenu longuement sur les relations parfois houleuses entre la France et ses anciennes colonies, le départ des forces françaises au Sahel ainsi que la réorganisation du dispositif militaire français en Afrique, suscitant l’agacement du Sénégal et du Tchad.
Départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger
Le 17 février 2022, la France et ses partenaires européens officialisaient leur retrait militaire du Mali, après neuf ans de lutte antijihadiste pilotée par Paris. Une décision annoncée dans un contexte de fortes tensions avec les nouvelles autorités maliennes ayant pris le pouvoir à la faveur d’un double coup d’État, en 2020 et 2021.
"On a choisi de bouger parce qu’il fallait bouger", a affirmé Emmanuel Macron lors de son discours lundi. "Les dirigeants militaires n’avaient plus pour priorité la lutte contre le terrorisme, la France n’y avait plus sa place parce que nous ne sommes pas les supplétifs de putschistes", a assené le chef de l’État.
Au Mali, Emmanuel Macron et ses alliés dénonçaient notamment la présence – démentie par Bamako – de miliciens "prédateurs" du groupe russe Wagner, considérée par Paris comme une ligne rouge. Les autorités maliennes avaient dans la foulée exigé un retrait "sans délai" de la France, poussant Paris à accélérer son calendrier.
L’histoire s’est ensuite répétée au Burkina Faso où, après un double coup d’État militaire, le nouveau pouvoir a exigé, en janvier 2023, le retrait des forces spéciales françaises stationnées à Ouagadougou. Enfin, le 24 septembre 2023, Emmanuel Macron annonçait le retrait des 1 500 soldats français déployés au Niger, après un bras de fer de deux mois avec les nouvelles autorités du pays, qui avaient renversé le président Mohamed Bazoum et dénoncé les accords de défense avec la France.
Réorganisation du dispositif militaire
Sur la réorganisation du dispositif militaire français en Afrique, Emmanuel Macron a là encore affirmé qu’il s’agissait d’un choix et non d’une réalité subie par la France.
"On avait laissé une présence installée dans nos bases, est-ce qu’elle avait encore une justification ? Plus tellement. Est-ce que c’était ça, le rayonnement de la France ? Non", a-t-il reconnu.
En février 2023, le président français avait annoncé vouloir mettre en place "un nouveau modèle de partenariat militaire", transformant les bases françaises en bases "conjointes" ou en "académies". Un projet qui avait pour but la "réduction visible des effectifs" alors même que des manifestations avaient régulièrement lieu au Sahel contre la présence militaire française, de plus en plus critiquée et perçue comme une émanation du néocolonialisme.
"On nourrissait nous-mêmes un discours postcolonial", a-t-il concédé, en référence au maintien de la présence militaire française.
Début 2024, Emmanuel Macron avait nommé Jean-Marie Bockel au poste d’"envoyé spécial" pour l’Afrique. Cet ancien ministre de François Mitterrand puis de Nicolas Sarkozy, critique de la Françafrique, était chargé de mener des consultations avec les États concernés afin de concrétiser cette réorganisation militaire.

Sur le plateau de France 24, Jean-Marie Bockel déclarait le 14 novembre dernier que le Tchad – dernier grand point d’ancrage de la France au Sahel, abritant un temps plus de 5 000 militaires dans le cadre de l'opération Barkhane – n’avait pas manifesté la volonté de voir les soldats français quitter son sol.
Pourtant, deux semaines plus tard, au lendemain d’une visite du ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot à N'Djamena, le pays a rompu l'accord de coopération avec la France en matière de défense et réclamé le départ des troupes. Le même jour, le Sénégal annonçait que la France allait devoir fermer ses bases. Depuis, le président ivoirien a annoncé la rétrocession de la base militaire française d'Abidjan à la Côte d'Ivoire.

Réactions outrées
"Nous avons proposé aux chefs d’État africains de réorganiser notre présence", a expliqué lundi Emmanuel Macron. "Comme on est très polis, on leur a laissé la primauté de l’annonce", a-t-il indiqué, affirmant que plusieurs de ces pays "ne voulaient pas enlever l’armée française ni la réorganiser".
Des propos qui ont fait réagir le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko. "Dans le cas du Sénégal, cette affirmation est totalement erronée", a-t-il dénoncé. "Aucune discussion ou négociation n’a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain."
Il a également répondu au chef de l’État français qui estimait lundi que des dirigeants africains n’ont "pas eu le courage, face à leurs opinions publiques", de remercier la France pour son engagement dans la lutte antiterroriste au Sahel.
"La France n’a ni la capacité ni la légitimité pour assurer à l’Afrique sa sécurité et sa souveraineté. Bien au contraire, elle a souvent contribué à déstabiliser certains pays africains comme la Libye avec des conséquences désastreuses notées sur la stabilité et la sécurité du Sahel", a-t-il dénoncé sur le réseau social X.
Le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno est lui aussi monté au créneau. "Je voudrais exprimer mon indignation vis-à-vis des propos récemment tenus par le président Macron, qui frisent le mépris envers l'Afrique et les Africains. Je crois qu'il se trompe d'époque", a-t-il réagi, lors d’un discours prononcé au palais présidentiel et publié sur la page Facebook de la présidence. Son ministre des Affaires étrangères avait précédemment dénoncé "une attitude méprisante à l'égard de l'Afrique et des Africains".
À Paris, une source diplomatique a tenté d’éteindre l’incendie. "Le Tchad et le Sénégal n'étaient absolument pas visés par ces propos puisque ce qui a été annoncé par Dakar et N'Djamena était déjà acté, on était d'accord sur la finalité – c'est juste le timing de ces annonces qui nous a surpris", a-t-elle déclaré à l'AFP.
Le président "ciblait clairement les pays de l'AES [Alliance des États du Sahel, NDLR] et en particulier le Mali", a poursuivi cette source. "On l'a tous mauvaise avec le Mali quand on voit le dispositif, l'investissement humain et financier que cela a représenté pendant des années à la demande des autorités maliennes, et alors que l'on pensait bien faire", a-t-elle expliqué, rappelant que 58 soldats français étaient morts en moins d’une décennie au Sahel.
Avec AFP
