Droits de douane : "C'est assez naïf" de la part des États-Unis "d'utiliser ces instruments" commerciaux, observe une économiste
"C'est assez naïf" de la part des États-Unis "d'utiliser ces instruments" commerciaux "qui vont leur coûter assez cher en matière de croissance", a déclaré Natacha Valla, économiste et ancienne directrice générale adjointe à la Banque centrale européenne, sur franceinfo mercredi 12 mars, alors que Washington a imposé 25 % de droits de douane américains sur l'acier et l'aluminium importé dans la nuit de mardi à mercredi.
En guise de réponse, la Commission européenne a annoncé quelques heures plus tard mercredi qu'elle appliquerait des droits de douane "forts mais proportionnés" sur une série de produits importés des États-Unis comme les bateaux, les motos ou le bourbon à partir du 1er avril, en réponse aux nouvelles taxes américaines qu'elle a jugées "injustifiées" et "nuisibles".
franceinfo : Est-ce que cette réponse européenne est la bonne en ciblant des motos Harley Davidson, le bourbon, les bateaux de plaisance, les fils dentaires, le soja, les réfrigérateurs ou encore les tondeuses à gazon ?
Natacha Valla : C'est vrai que le commerce entre les États-Unis et l'Union européenne est intense, autant sur les biens que les services. Mais quand on regarde notre balance commerciale, c'est le commerce des marchandises qui est effectivement en surplus pour l'Union européenne. En revanche, pour les États-Unis, le déficit de l'Union européenne est surtout dans les services. Donc ça complique un peu la réponse parce qu'effectivement, on l'a vu, il faut aller chercher des listes un peu plus précises, des listes qui ne viennent pas tout de suite intuitivement à l'esprit des autorités. Bien sûr, on ne peut pas difficilement faire autre chose que de riposter. Ne rien faire, ce serait bien sûr la catastrophe. Mais il y a sans doute d'autres moyens de riposter à des barrières douanières.
Rappelez-nous ce que ça signifie être en déficit commercial sur les services, ça signifie qu'on importe beaucoup plus ?
On importe beaucoup plus de propriété intellectuelle des États-Unis que ce qu'on en exporte. C'est-à-dire qu'on va exporter plus de voitures par exemple, mais on va importer beaucoup plus d'iPhones ou de 'softwares' (logiciels) ou des choses comme ça qui ne sont pas calculées dans la même case de la balance commerciale, mais qui en fait, quand on la regarde et en fonction des chiffres qu'on regarde, on n'est même pas sûr que la balance commerciale entre les États-Unis et l'Europe soit réellement déficitaire pour les États-Unis. Donc, c'est assez naïf de leur part d'aller utiliser ces instruments, qui par ailleurs vont leur coûter assez cher en matière de croissance pour l'économie américaine.
Pourtant, c'est Washington qui a, quelques minutes après la riposte de Bruxelles, déclaré que l'UE était "déconnectée de la réalité". Est-ce que vous diriez que l'Union européenne a retenu certaines leçons de la précédente phase de guerre commerciale avec les États-Unis, lors du premier mandat de Donald Trump, où on avait déjà taxé les Harley-Davidson ?
C'est un peu une réponse obligée dans la logique de ce qu'on appellerait un jeu stratégique entre deux partenaires. En tout cas, ce n'est pas l'arme la plus efficace de mon point de vue. Quand on regarde les relations économiques et financières entre l'Union européenne et les États-Unis, pour les Européens, ce qui serait le plus puissant, ce serait finalement de retenir son épargne. Notre épargne européenne va s'investir aux États-Unis, va financer la dette américaine, et ce faisant, elle ne finance pas d'activités économiques en Europe, et bien pire, elle va permettre finalement aux États-Unis de se financer à moindre coût, et les États-Unis eux-mêmes viennent chercher des investissements beaucoup plus rentables en Europe. Donc, ça, c'est un mécanisme financier qu'on devrait regarder de plus près, parce que ce serait beaucoup plus efficace par rapport à "l'impact négatif" qu'on aurait sur les États-Unis.
Et est-ce que le Wall Street Journal, les marchés, les grandes entreprises, les PME industrielles, les consommateurs américains ont raison de commencer à s'inquiéter de cette politique économique actée par Donald Trump ?
Oui, il y a plein d'effets qui étaient déjà prévisibles. Alors le drame de cette histoire, c'est que ça intervient dans un contexte économique qui, pour les États-Unis par ailleurs, était quand même plutôt favorable. Les États-Unis ont une productivité qui croît fortement, le revenu des ménages était assez solide, le marché du travail était encore assez positif. Et interviennent ces politiques (de Donald Trump), ces politiques dont on espérait au départ qu'elles seraient moindres ! Et finalement, on se rend compte que la chose est sérieuse. Et donc, les raisons se combinent. On parle de l'inflation, qui est l'effet direct de l'introduction d'un droit de douane sur les prix à la consommation finale. Mais ce n'est pas la seule chose. Il y a aussi le fait que ça resserre les conditions financières. On se rend bien compte que les cours boursiers, depuis quelques jours, ont vraiment du mal. Il y a un "facteur États-Unis" très clairement lié à cette évolution négative des cours (boursiers). On a aussi le contexte de l'incertitude qui pousse les entreprises à repousser justement leurs décisions d'investissement. Donc tout ça, que ce soit sur la consommation ou l'investissement aux États-Unis, c'est vraiment négatif pour la croissance.