La géopolitique s’invite dans les choix technologiques des entreprises

Les annonces de taxes douanières faites par Donald Trump inquiètent les marchés. Et dans un monde désormais hyperconnecté, les entreprises commencent à reconsidérer leurs choix technologiques.

Alphabet/Google, Amazon, Meta, Microsoft, Starlink, Tesla : la liste est longue des dirigeants américains du secteur des technologies numériques qui affichent leur soutien à la présidence de Donald Trump. Or, les produits et services conçus et commercialisés par ces firmes se trouvent au cœur de nombreuses administrations, familles et entreprises à l’échelle de la planète. Cette omniprésence devient une source de préoccupation pour des conseils d’administration qui s’inquiètent des risques que cela peut faire courir à leurs organisations.

L'arme juridique utilisée à des fins stratégiques

On connaît depuis les années 1990 l’application des lois extraterritoriales, aux États-Unis, qui permettent de sanctionner toute entreprise étrangère pour des délits effectués n’importe où dans le monde. Dès lors qu’une seule parmi plusieurs conditions est établie : des transactions libellées en dollars, des échanges d’e-mails ou l’hébergement de données sur des serveurs basés aux États-Unis, la présence d’une filiale aux USA ou être coté sur un marché financier dans ce pays.

Une volonté politique contentieuse permet alors d’activer des procédures à l’encontre d’entreprises stratégiques. Cela a déjà été le cas par le passé.

La question de la continuité de service est dans les esprits. Avec par exemple la disponibilité de logiciels ou de bases de données, dont l’accès pourrait être temporairement suspendu ou altéré. Cela va des programmes bureautiques présents en nombre dans les sociétés commerciales à l’électronique embarquée dans les avions de combat, comme le F-35 qui équipe des aviations européennes. La remise en question de la notion d’allié conduit à s’interroger sur notre maîtrise permanente de ces technologies en toute autonomie.

Le numérique ne peut plus ignorer la politique

Les grands groupes ne découvrent pas la brutalité de la compétition internationale. Toutefois, ils reconnaissent que "la géopolitique était traditionnellement absente de leur stratégie numérique". Ce constat apparaît dans une note publiée en février 2025 par le CIGREF, l’association professionnelle qui rassemble les responsables des systèmes d’information des 150 plus grandes entreprises et administrations en France.

Dans cette publication très concrète d’une trentaine de pages, ces dirigeants soulignent "qu’un produit édité – ici un logiciel – est toujours associé à son pays d’origine". Et que seul le format open source échappe à cette notion d’appartenance nationale. Ils pointent également les risques liés à une faible maîtrise de son patrimoine informationnel si les données sont situées chez un prestataire mondialisé plutôt que chez plusieurs acteurs locaux.

On retrouve ici les arbitrages en faveur d’un fournisseur unique, qui offre les avantages de la centralisation par rapport à plusieurs partenaires nationaux, avec les efforts induits par une mise en conformité technique et des réglementations par pays. Dans les faits, les offres commerciales des grands conglomérats contribuent à créer un centralisme technologique qui peut s’avérer dangereux en cas de blocage ou de contentieux.

Réduire l'exposition aux risques géopolitiques

La publication du CIGREF, réalisée à partir d’entretiens avec des cadres opérationnels en poste dans ces grands groupes, suggère de doter les entreprises d’une équipe ou d’une personne chargée d’élaborer des scénarios précis des évolutions potentielles de la scène géopolitique par le prisme des enjeux numériques.

Avec un processus de révision tous les 6 à 12 mois afin d’intégrer les modifications de leur environnement. Cela conduit à un suivi de la situation des fournisseurs pour prendre en compte leurs changements d’actionnaires, de nationalité ou de réglementation.

Ces sujets dépassent l’activité commerciale des entreprises

Si l’échelon politique français parle souvent de souveraineté numérique – comme c’est le cas dans l’intitulé actuel de notre ministère de l’Économie –, les entreprises semblent davantage concernées par la notion d’autonomie technologique. C’est-à-dire la capacité à pouvoir conduire leurs activités selon leurs propres agendas et directives.

La seconde élection de Donald Trump les oblige désormais à prendre en compte la géopolitique dans leur feuille de route afin de s’assurer de la pleine maîtrise de leur ingénierie technologique. Dans un contexte où les armes de la guerre économique pour acquérir des parts de marché et des profits sont avant tout techniques et juridiques.