«C’est de la mauvaise qualité, mais pour le prix, on prend»: plongée dans le «pop-up» Shein, avant l’ouverture de ses magasins parisiens

Devant la Galerie Joseph de la très chic rue de Turenne, elles attendent par grappes sur le trottoir. Jeans taille basse, baskets blanches et smartphone en main, une vingtaine de jeunes clientes s’impatientent. Ce dimanche 28 septembre, Shein ferme son pop-up parisien après une semaine de frénésie. Dans le Marais, à deux pas de boutiques comme Carel ou Armor Lux, le géant chinois de l’ultra fast-fashion a recréé un « appartement parisien » de 850 m², divisé en neuf ambiances, de Montmartre à Saint-Germain-des-Prés.

À l’intérieur, la mise en scène rivalise avec une boîte de nuit : affiches colorées, musique saturée, animateur au micro. Les portants ploient sous des tops à 4,75 €, des jeans à 14 € et des accessoires à 1 €. Une formule « six articles pour 39 € » déclenche un ballet frénétique : les vêtements passent de mains en mains, disparaissent en tas dans les sacs. « On sait que c’est de la mauvaise qualité,  mais pour le prix, on prend », concède Marie*, venue avec sa fille. À quelques pas, Sophie*, arrivée de Lille pour le dernier jour, s’empare d’une jupe à sequins : « Je ne la porterai pas souvent, mais il faut que j’atteigne six articles pour profiter de la promo. »

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Les cabines d’essayage, saturées, se transforment en coulisses de tournage improvisées. Les clientes dégainent leur téléphone, posent devant les miroirs, publient aussitôt sur TikTok ou Instagram. Depuis ses débuts, Shein a bâti son empire grâce aux réseaux sociaux, où les vidéos d’unboxing et les « hauls » cumulant des millions de vues alimentent un bouche-à-oreille numérique.

Shein sous haute surveillance

À Paris, aucun incident n’est venu troubler la semaine. Une sécurité renforcée, avec plusieurs vigiles à l’entrée et des fouilles systématiques, semble avoir dissuadé les perturbateurs. Ce ne fut pas toujours le cas. En 2023, à Lyon, l’ouverture d’un pop-up Shein s’était déroulée dans un climat houleux : jets de faux sang, actions de militants écologistes et banderoles dénonçant les conditions de travail chez les sous-traitants de la marque. « La plupart ne sont pas au courant des méfaits de cette entreprise. Beaucoup viennent seulement pour les prix », expliquait alors Marie Nguyen, cofondatrice de WeDressFair au Figaro .

« Notre objectif était de venir à la rencontre des consommateurs afin de discuter de leurs motivations ». Devant la boutique lyonnaise, son association avait déployé une banderole accusant Shein de recourir à des produits toxiques et à des cadences de travail déshumanisantes. « Shein est une machine à détruire des vies à l’autre bout du monde, à détruire l’environnement et enfin le commerce de proximité », dénonçait-elle.

Mais derrière ces décors éphémères se dessine une stratégie économique pérenne. Profitant de la Fashion Week, Shein a annoncé l’ouverture de ses premiers magasins permanents en France, une première mondiale. Le BHV Marais accueillera dès novembre une boutique pérenne au sixième étage, grâce à un partenariat avec la Société des grands magasins (SGM). Cinq implantations régionales avaient été annoncées dans des Galeries Lafayette, bien que les héritiers de l’enseigne aient rapidement fait savoir qu’ils « refusaient » l’arrivée de Shein dans ses franchises de province.

Shein étend son emprise sur la mode française

Pimkie franchit, elle aussi, le Rubicon. La chaîne française a conclu un joint-venture avec Shein pour fabriquer et vendre des collections sur son site. « Notre objectif est de réaliser 100 millions d’euros de chiffre d’affaires avec Shein d’ici à 2028, soit un tiers de notre activité », a déclaré Salih Halassi, directeur général et actionnaire de Pimkie, lors d’une conférence de presse organisée par Shein mi-septembre dernier. Pimkie est devenue ainsi la première marque française à céder sous le rouleau compresseur du géant chinois.

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Cette incursion physique ne passe pas inaperçue. La Fédération nationale de l’habillement (FNH) dénonce, « ces enseignes, qui ont par le passé tant contribué au rayonnement et à la créativité de la France, choisissent aujourd’hui de s’associer à ce qu’il y a de plus contestable dans le secteur de la mode. »

L’offensive intervient dans un climat tendu. En juin, la loi anti-fast fashion, taillée sur mesure contre le modèle Shein, a été votée. En juillet, la DGCCRF a infligé une amende record de 40 millions d’euros pour « pratiques commerciales trompeuses ». Et, début septembre, la Cnil a sanctionné le groupe à hauteur de 150 millions pour non-respect de la législation sur les cookies.

Entre cartons de vêtements low cost et ambitions de vitrines haussmanniennes, Shein joue une nouvelle partition. L’enseigne chinoise espère se muer en acteur physique du commerce français. Ses clientes, elles, ne s’embarrassent pas d’états d’âme : elles filment, partagent, achètent.