Cent ans d’Art déco : les bijoux des grands joailliers au Musée des arts décoratifs

C’est un détail qui n’est pas passé inaperçu auprès des amateurs de bijoux : l’affiche de l’événement du Musée des arts décoratifs ne montre ni un meuble, ni un objet de décoration, mais un petit étui laqué et précieux du joaillier Raymond Templier. C’est dire l’importance de cette corporation dans ce mouvement du début du XXsiècle célébré par l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris de 1925. « On pense souvent que cette exposition marque la naissance du mouvement, alors qu’en réalité elle aurait dû avoir lieu en 1915, et que 1925 s’avère bien davantage le couronnement d’un certain courant, déjà assez mûr, de l’Art déco », explique Mathieu Rousset-Perrier, un des commissaires de l’exposition et conservateur, entre autres, des bijoux du musée.

En témoigne la volumineuse broche Boucheron, dans la première salle du parcours, ornée d’un pompon de soie et de pierres dures plutôt rares en joaillerie à l’époque (lapis, corail, onyx, jade, turquoise). « Ce bijou concentre l’envie de rupture inhérente au mouvement et la volonté de faire des propositions inédites, reprend le commissaire. D’ailleurs, il appartient toujours aux archives du joaillier qui ne l’a pas vendu lors de l’exposition internationale, tant il était différent de sa production habituelle»

Devant de corsage Boucheron en pierres ornementales, pompon de soie et diamants, présenté en 1925 à l’exposition internationale. Broche Cartier de 1924 en platine, diamants, perle, onyx et cristal de roche. sdp et collection Cartier
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La deuxième salle fait la part belle aux joailliers avec une pièce entièrement dédiée à Cartier, l’un des rares créateurs de l’époque encore en activité aujourd’hui et disposant de riches archives. « Nous voulions retracer, à travers une maison, les deux décennies 1920 et 1930, et montrer la diversité des courants, comme des sources d’inspirations », précise Mathieu Rousset-Perrier. Outre les dizaines de bijoux illustrant l’épuration des formes, la variété des thèmes, les mélanges de couleurs (et de pierres) inattendus, mais aussi le noir et blanc, le public y découvre également les croquis et photos des installations du joaillier à l’exposition internationale. Cartier fut le seul joaillier à y disposer de deux stands, l’un au Grand Palais avec ses pairs et l’autre au pavillon de l’élégance avec les marques de mode, où il planta cette panthère grandeur nature en fer forgé comme garde-corps devant son stand, et présentée ici.

Broche Jean Després de 1936, en argent, or et malachite. Broche Georges Fouquet en or jaune, présentée à l’exposition internationale de Paris de 1937. Les Arts décoratifs

Au cœur d’un mouvement avant-gardiste

Pour les amateurs de bijoux, et d’Art déco, le clou de l’exposition se trouve dans la salle dédiée à la grammaire du mouvement. La variété des objets détaille les motifs et sources d’influence récurrents quel que soit le mode d’expression (mobilier, textile, céramique, joaillerie…). En premier, la géométrie « marqueur central de l’Art déco », souligne Mathieu Rousset-Perrier, dont s’emparent les créateurs de l’avant-garde, comme Raymond Templier, Gérard Sandoz, Georges Fouquet, Jean Desprès avec des bagues et des broches illustrant le mouvement, la vie moderne ou l’automobile. Les maisons historiques de la place Vendôme, elles aussi, se saisissent de cette esthétique, à l’instar de Boucheron (qui a prêté une ravissante broche en cristal de roche, diamants et tourmaline) et Chaumet, un joaillier qui évoque rarement cette période de son histoire et présente là une broche cravate et un bracelet ruban tous diamants, très modernes, ainsi qu’un pendant en émeraudes gravées, diamants et rubis.

« Cette évolution du bijou vers l’Art déco est aussi impulsée par des personnalités qui ne sont pas des bijoutiers », poursuit le conservateur. C’est le cas par exemple de Paul Iribe, illustrateur et décorateur, qui imagine cette broche, très précieuse avec son émeraude gravée et ses flèches de saphirs bleus. Une association de couleurs inédites, et même considérée alors comme vulgaire. On peut citer aussi Charles Jacquot, qui engage alors un changement chez Cartier et qui, au départ, travaille pour des ferronniers. Ces artistes osent des choses qu’un joaillier de formation n’aurait pas osées. « Ils inventent un nouveau goût », conclut Mathieu Rousset-Perrier.