Le marché de la musique franchit le cap symbolique du milliard d’euros en France

C’est un cap symbolique. En 2024, le marché de la musique en France a dépassé le milliard d’euros de chiffres d’affaires, au terme d’une huitième année de croissance, marquée par une progression de 7% sur un an. Et même s’il faut relativiser ce chiffre «qui représente 54% du niveau historique de 2002, la valeur se redresse patiemment, laborieusement, avec rigueur et détermination», observe Alexandre Lasch, le secrétaire général du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), qui regroupe les principales maisons de disques à l’instar d’Universal Music, Warner ou Sony.

Une embellie largement portée par la production locale : des rappeurs Werenoi, PLK, JUL en passant par Indochine ou Zaho de Sagazan, le public continue de plébisciter les artistes tricolores, qui ont trusté 18 des 20 meilleures ventes d’albums l’an dernier et même les ¾ du Top 200 albums. Fait nouveau, «depuis la sortie de crise en 2016, c’est la première fois que tous les grands segments sont au vert, du numérique aux ventes de CD et de vinyles en passant par les droits voisins et la synchronisation», souligne-t-il.

Avec 674 millions d’euros au total (+9%), le numérique représente l’essentiel des revenus. À elles seules, les offres de streaming payantes à des plateformes comme Spotify, Deezer, Apple Music, «progressent de 11% et dépassent pour la première fois la barre du demi-milliard d’euros, à 522 millions d’euros» poursuit-il. Preuve qu’il constitue un élément central de la création de valeur pour le secteur, l’abonnement a constitué 80% de la croissance l’an dernier.

Le CD fait de la résistance à l’heure du numérique

Dans un marché qui se dématérialise, les ventes physiques -deuxième source de revenus du secteur- font toujours de la résistance. En 2024, près de 10 millions de CD et 6 millions de disques ont été écoulés. Cela représente une hausse de plus de 1%, à 196 millions d’euros. «C’est le meilleur résultat, hors Covid, depuis plus de 20 ans», applaudit Alexandre Lasch. En termes de chiffre d’affaires, le vinyle dépasse désormais les CD, ce qui n’était pas arrivé depuis… 1987. Les bonnes vieilles galettes frôlent ainsi la barre des 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Deux fois plus qu’il y a 5 ans. Cet engouement aboutit d’ailleurs à un drôle de paradoxe : le microsillon rapporte depuis quelques années davantage d’argent à la filière française de la musique que le géant YouTube et ses millions d’utilisateurs dans l’Hexagone (près de 67 millions d’euros). Davantage, aussi, que les revenus tirés du streaming financé par la publicité, soit environ 75 millions d’euros.

De bonnes performances portées notamment par l’essor de la vente directe via les boutiques artistes. Une manne encore modeste, de 10,5 millions d’euros, mais qui a été multipliée par 5 en 5 ans. «Le phénomène est très observé par l’industrie car il permet de développer l’engagement des communautés de fans, constate Alexandre Lasch. Toutes les sorties importantes d’artistes s’accompagnent aujourd’hui d’une stratégie “direct to fans”, avec un merchandising dédié, avec des exclusivités… Ce sont de véritables laboratoires d’innovation commerciale».

Rap, Pop, Rock, Electro… Quel que soit leur genre, «les chanteurs et musiciens tendent à suivre l’exemple des “armées” de la K-POP. Ils constituent des “fandoms” dont les membres deviennent des ambassadeurs très prescripteurs auprès du public, que ce soit au travers des réseaux sociaux ou via le bouche-à-oreille dans la vie réelle. Leur impact est très positif, et beaucoup plus large sur la consommation que le seul chiffre d’affaires de ce segment ne le laisse voir pour l’instant», insiste le directeur général du Snep.

«Énorme carton» pour une chanson introduite dans Bref 2

Troisième contributeur du marché, les droits voisins (diffusion dans les lieux publics, radio, clips à la télévision…), ont rapporté l’an dernier près de 123 millions d’euros (+2,3%). Enfin, la synchronisation (musique utilisée dans un film, une série, des publicités, des jeux vidéo, une émission TV…) a progressé de près de 19% à 36 millions d’euros. Ce dernier segment représente une opportunité, notamment pour le patrimoine musical français, de toucher de nouveaux publics.

Monsieur Aznavour, le film de Tahar Rahim a dopé les ventes des albums du chanteur. Les écoutes de Veridis Quo, un titre des Daft Punk, ont explosé de 183% en un an depuis que Chanel en a fait la bande-son de sa publicité pour le parfum Numéro 5. À la télévision, Je survivrai de Régine, intégré à la série Bref 2 sur Disney+, «a réalisé un énorme carton sur TikTok, ce qui a dopé la consommation sur les plateformes comme Spotify», explique Alexandre Lasch. Le même phénomène a été observé avec la version allemande de Quand je chante de Nana Mouskouri diffusée dans la série Cassandra sur Netflix, dont les écoutes ont bondi de 3800% en trois semaines… «Tout cela participe de la redécouverte des standards de la musique et c’est une bonne nouvelle», estime-t-il. Pour les maisons de disque et les artistes, c’est aussi une manne intéressante : de la marge pure, quasiment, dans la mesure où tous ses titres sont déjà amortis depuis longtemps…

Si le secteur voit actuellement la vie en rose, il y a toutefois quelques bémols. Certes, «on a jamais écouté autant de musique en France: quasiment 19 heures en moyenne chaque semaine. C’est l’équivalent sur une année de 40 jours et 40 nuits pour chaque Français. Et les marges de progression demeurent importantes», se réjouit Alexandre Lash. N’empêche: il reste à relever le défi d’une meilleure monétisation de cette hausse de l’écoute. «Le streaming par abonnement compte 17,7 millions d’utilisateurs et touche à présent un quart de la population française». Or, sur ce point, la France pourrait mieux faire. Elle constitue l’un des principaux marchés de la musique en France, et pourtant, «l’Hexagone reste très éloigné des grands marchés tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne, les États-Unis, où le taux de pénétration est bien supérieur. Nous nous rapprochons plutôt des autres pays de l’arc méditerranéen, déplore Alexandre Lasch. Le consentement à payer est plus difficile à trouver en France. Toute la chaîne de valeur doit se mobiliser».