Hervé Morin : «Ce sont les nations qui feront l’Europe de la défense»

Hervé Morin est président de la Région Normandie et président des Centristes.


La France et l’Europe laissent les autres pays déterminer leur avenir, leur organisation géostratégique, leur sécurité, l’avenir de leurs nations, et au bout du compte, leur paix. Il ne s’est pourtant passé que 80 ans depuis le débarquement en Normandie. Qu’on est loin des souvenirs de mon enfance, où mon père, gaulliste acharné, rappelait avec beaucoup de fierté à ses deux garçons, en passant devant la base aérienne d’Évreux, que le drapeau américain avait été remplacé par le drapeau tricolore car le Général avait décidé que nous redeviendrions une nation ayant en main son propre destin.

C’était il y a un peu plus de 50 ans, la communauté européenne de défense avait été rejetée et la CEE portait une belle ambition de puissance économique, après le désastre des deux guerres, et surtout de prospérité pour son peuple. Aujourd’hui, La France et l’Europe déclinent relativement aux puissances économiques qui émergent, même si nous avons encore beaucoup d’atouts. Dans les années 1960-1970, la France décidait de l’avenir géopolitique d’une partie de l’Afrique. Aujourd’hui les Européens constatent cruellement que ce sont d’autres pays, et en particulier les États-Unis de Trump, qui décident du leur. Pire encore, nous dépendons de dirigeants versatiles inquiétants, Poutine s’inscrivant pour sa part dans la longue histoire du tsarisme russe.

Je fais partie des rares responsables politiques français à apprécier les États-Unis et leur société, en raison de leur dynamisme et des opportunités qu’elle offre à ceux qui ont la détermination et les compétences nécessaires pour réussir. Bien que je sois conscient des faiblesses du pays, la vitalité de la société américaine suscite mon admiration. Mais je sais aussi que les États-Unis - et cela bien avant Trump, Obama ayant bâti sa présidence sur la fin du rôle de gendarmes du monde - ont définitivement tourné le dos à l’Atlantique pour affronter l’immense défi du Pacifique, c’est-à-dire le défi chinois.

Je ne sais pas qui a la crédibilité pour porter un message de révolte et de résurrection en Europe mais il n’est pas possible que Trump et Poutine fixent notre destin sans nous.

Et pourtant l’Europe ne réagit pas alors même que deux des cinq membres du conseil de sécurité des nations unies dotés de l’arme nucléaire en sont membres ! Les Allemands se réarment mais sans volonté, et en achetant du matériel américain. Il n’y a aucune transcendance européenne ; aucun effort de constitution d’un programme d’armement commun, de mise en œuvre de capacités communes pour des missions partagées ; pas même un État-major de planification commun permettant aux Européens de mener une opération : nous sommes obligés de passer par l’Otan. La France le demandait pourtant quand j’étais ministre de la Défense ; il s’est passé quinze ans depuis. J’ai le souvenir des efforts que notre pays menait seul sous Nicolas Sarkozy lors de la présidence de l’Union européenne pour bâtir les fondations d’une défense européenne, auxquels les Européens répondaient avec indifférence, dans le meilleur des cas polie. L’Otan, c’était si facile.

Le déclin géostratégique n’est-il finalement que l’expression du déclin inexorable et définitif de l’Europe ? Cet avachissement n’inspire que tristesse quand on comprend que c’est Trump qui décidera de notre avenir. La société européenne est-elle devenue tellement individualiste, wokiste et sans esprit collectif, qu’elle s’émeut et s’embrase sur des sujets finalement secondaires quand on les compare à ceux qui sont en train de se jouer en Ukraine ? Il est incroyable pour un continent dévasté par la guerre de laisser son existence décidée par les autres, se reposant sur un article 5 dont on peut se demander s’il serait mis en œuvre par les États-Unis, dans l’hypothèse où leurs intérêts apparaîtraient plus importants que, par exemple, l’envahissement des pays baltes par la Russie. Je ne sais pas qui a la crédibilité pour porter un message de révolte et de résurrection en Europe mais il n’est pas possible que notre destin nous soit fixé par Trump et Poutine.

Ce que je sais en revanche, c’est que ce n’est pas dans le cadre de l’Union européenne, des débats empesés et enkystés dans un formalisme encadré par des traités que nous trouverons les moyens d’un sursaut. Ce que je sais, c’est que la volonté nationale et le refus de l’avachissement existent en dehors de l’Union, c’est-à-dire chez nos amis britanniques, seule puissance militaire européenne digne de ce nom avec la France. Le traité de Lancaster, seule avancée du vieux continent en matière de défense, s’était fait entre États souverains, capables de prendre leurs responsabilités, probablement parce que le souvenir de Churchill et de Gaulle était encore vif.

Nous y embarquerons aussi probablement un certain nombre de nations conscientes des dangers liés à l’effacement de l’Europe et l’incertitude de l’engagement américain. Que la France et le Royaume-Uni prennent sans arrogance l’initiative de bâtir la sécurité européenne avec les pays qui veulent vraiment qu’elle se construise par nous et avec nous. Français, Européens, réveillons-nous, notre paix ne peut pas se bâtir sans nous !