Caillebotte, gentleman impressionniste sur France 5
Sa malédiction à lui : avoir été riche. Parce qu’il était à l’abri du besoin, plus encore qu’un Cézanne ou qu’une Morisot, on a longtemps cantonné Gustave Caillebotte(1848-1894) au rang des seconds couteaux de l’impressionnisme. Presque un peintre du dimanche avec ces canotiers, ces scènes de la vie bourgeoise avec badauds et ouvriers pacifiques. Au moins le saluait-on pour son activité de collectionneur. Tôt en effet il avait acquis des travaux de ses amis modernes.
Cet engagement auprès des Pissarro, Monet, Renoir et autres Sisley, qui, tous, à leurs débuts mangeaient de la vache enragée, ainsi que ce rôle de promoteur indéfectible de leur manière justifient bien sûr la reconnaissance. Mais celle-ci occulte la valeur intrinsèque de l’artiste. Peu s’en est fallu même que l’auteur des Raboteurs de parquet et du Pont de l’Europe reste principalement comme marin et comme botaniste. Chez lui, la passion pour la régate était telle qu’il s’est imposé comme architecte naval. Et sur terre Caillebotte fut un jardinier magnifique, cela dès avant le Monet de Giverny ou le Clemenceau de Saint-Vincent-sur-Jard.
Vertigineuses perspectives
Yachtman et gentleman-farmer assurément, mais peintre, donc ? À l’occasion de l’exposition du Musée d’Orsay, Lise Baron cherche, et trouve, le génie particulier déposé dans les œuvres. Ses nombreux zooms sur les détails et les épaisseurs des tableaux parlent d’eux-mêmes. Ce goût de la toile laissée çà et là apparente ? C’est peut-être l’héritage d’un père fournisseur de draps pour l’armée de Napoléon III. Cette propension à magnifier le Paris de Haussmann ? Des investissements familiaux heureux contractés dans l’immobilier.
Et puis, si les dehors étaient discrets, comme le montrent les rares autoportraits et photographies, Caillebotte avait de l’audace à revendre. Au moins autant que ses pairs. Ses cadrages ? Ils s’inspirent des estampes japonaises appréciées dès la décennie 1870. Ses perspectives ? Elles s’avèrent aussi neuves et encore plus vertigineuses que celles de Degas. La touche, moins apparente et radicale que celle d’un Monet ? Elle excelle à rendre le pavé mouillé, le linge gonflé par une brise ou la voile tranchant l’azur d’une journée d’été.
Surtout, jusque dans ses représentations de parterres fleuris, une mélancolie affleure. Elle découle de celle des maîtres du Siècle d’or hollandais et de l’art musicien d’un Watteau. Elle se nourrit d’une famille fusionnelle, à jamais endeuillée par la perte précoce du père, puis de celle d’un frère parti à l’âge de 26 ans.
Un spleen diffus
L’insouciance d’une adolescence entre parc Monceau et gare Saint-Lazare fut donc tôt révolue. Déjà, du haut des balcons de l’avenue de l’Opéra, il n’y a plus que béance, vide. Caillebotte certes a vécu là dans le meilleur confort, mais aussi dans un spleen diffus, l’esprit aliéné dans de petites choses, un repas, la lecture d’un journal, une broderie. Et même, côté boulevards, il ne semble s’être accordé d’autre spectacle que celui des fenêtres.
Près de Yerres, Le Petit-Gennevilliers a pris le relais. Cela a été une autre retraite champêtre, pareillement silencieuse. Caillebotte y a retrouvé une forme de paix, différente toutefois après les guerres, les deuils, les bouleversements et les trépidations du Paris nouveau.
On pouvait encore respirer dans ces banlieues. C’est-à-dire y peindre. L’idée, dans l’air depuis Corot, étant d’y saisir la lumière en son milieu naturel. Et aussi, ici comme à Paris, de suivre le conseil baudelairien : le meilleur moyen d’éterniser la vie est d’embrasser l’ici et le maintenant.