Projet de loi agricole : "il est clair que le modèle des exploitations familiales est derrière nous", estime le sociologue Jean Viard
Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole comporte 24 articles. Le premier d'entre eux vise à ériger l'agriculture au rang "d'intérêt général majeur". Il a également pour objectif de renforcer l'indépendance de la France en matière de production agricole, en réduisant la dépendance aux importations, et aborde également le renouvellement des générations. Le Sénat a terminé l’examen du projet de loi jeudi et le gouvernement espère une adoption définitive du texte avant le Salon de l'Agriculture qui s'ouvre, à Paris, samedi 22 février.
À quelques jours de l'ouverture du Salon de l'agriculture à Paris, le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations est débattu au Parlement. Il est primordial aujourd'hui pour les agriculteurs ?
Jean Viard : C'est une façon de lutter contre les importations. Protéger la France, c’était l’idée de la politique agricole commune, notamment quand elle a été mise en place par de le général de Gaulle et par Édgard Pisani au début des années 60. Avoir l'arme nucléaire et se nourrir !si on ne peut se nourrir et quand on a l'arme nucléaire, on est tranquille ! C'était ça le modèle culturel de l'époque, qui correspondait d'ailleurs à une économie essentiellement nationale. Et puis, petit à petit, on a construit l'Europe, et notamment l'Europe agricole. C'est à peu près le tiers du budget de la Communauté européenne qui sert à soutenir l'agriculture. Il y a la souveraineté : c'est la souveraineté européenne, la souveraineté française, ça peut faire débat et les importations. Il y a des échanges : si on deal dans un sens, on deal dans l'autre. Je vais vous dire une chose : on est dans une époque de violence, on est dans une époque de risque de guerre, de pandémie. On a bien vu pendant la grande pandémie que la question de se nourrir en prenant des choses qui viennent de l'autre bout du monde ce n'est pas possible. Donc, dans ce type de période, on a tendance à se replier sur le national, sur l'Européen. Regardez les Américains : ils peuvent nous mettre d'un coup des taxes de 50% sur n'importe quoi. I
Il est clair qu'on va vers un retour d'une agriculture liée au sol de l'Europe. L'Europe doit se nourrir.
Jean Viard, sociologueà franceinfo
L'Europe doit pouvoir se défendre, doit pouvoir s'isoler si les autres nous isolent. Enfin, il y a la fierté du monde agricole qui est un monde merveilleux mais en grande difficulté, un monde que les Français connaissent finalement assez mal.
Le renouvellement est aussi en question : les fils et filles d'agriculteurs n'ont souvent pas envie de reprendre le flambeau.
La tradition de l'exploitation familiale du débu du début du siècle est en train de se perdre. Une bonne partie des enfants d'agriculteurs n'ont pas envie d'exercer ce métier. Par contre les écoles d'agriculture sont pleines de gens qui ont envie d'être agriculteurs, mais qui ne possèdent pas de foncier et qui ne sont pas des héritiers.
Le gros problème de l'agriculture, en plus de la compétence et l’évolution du marché, c'est aussi le foncier : une ferme, les bâtiments, le matériel sont très chers. C'est pour ça que dans la loi, il y a toute une réflexion sur le foncier, sur la manière de le financer. Est-ce qu'il faut garder des exploitations familiales ou faut-il avoir des entreprises ? Il y a débat sur cette question, mais il est clair que le modèle des exploitations familiales est derrière nous. Les jeunes filles n'ont plus envie d'être dans l'agriculture sauf pour celles qui ont envie d’être cheffes d'exploitation. Et les compagnes des agriculteurs sont de plus en plus rarement dans l'agriculture.
Le thème de ce salon d'agriculture 2025, c'est "l'agriculture, cette fierté française". Cela ramène à la façon dont sont perçus aujourd'hui les agriculteurs dans la société française ?
Oui. Les agriculteurs se sentent beaucoup rejetés. Et puis on a eu aussi les élections des chambres d'agriculture où la FNSEA, le principal syndicat agricole, a perdu encore 80% des chambres. Il y a une vraie question de rendre ce métier désirable. L'agriculture c'est la beauté de la France. Quand vous voyagez, qu'est-ce que vous voyez ? Vous voyez des champs, des arbres ? C'est un énorme métier : ils sont moins 500 000 mais tiennent encore plus de la moitié du sol de France. C'est grâce à ça que la France est aussi magnifique.