Super Bowl : "C'est une parade de la victoire pour Donald Trump"

À chaque Super Bowl, son personnage qui cristallise l'attention. En 2024, c'est la superstar planétaire Taylor Swift qui avait aimanté les regards dans les tribunes alors que, en plein Eras Tour, elle était venue encourager son petit ami Travis Kelce pour qu'il décroche un deuxième titre consécutif.

Si la popstar sera bien à la Nouvelle-Orléans pour la finale 2025 entre les Kansas City Chiefs, qui viseront un triplé inédit en NFL et les Philadelphia Eagles, elle s'est déjà fait voler la vedette par un autre milliardaire : Donald Trump, le président américain, qui va à cette occasion devenir le premier président en exercice à assister à l'événement annuel le plus important du calendrier sportif américain.

Une revanche assez mesquine pour lui face à celle qui avait soutenu son adversaire Kamala Harris lors de la présidentielle. "I hate Taylor Swift", avait alors répondu Donald Trump.

"C'est une parade de la victoire pour Donald Trump. Il vient montrer publiquement son ascendant", analyse Simon Chadwick, professeur d'économie et géopolitique du sport à l'école de commerce Skema. "Il tente de reprendre l'ascendant sur le côté politique du Super Bowl."

Un moment plus politique qu'il n'en a l'air

Le Super Bowl est régulièrement qualifié "d'évènement de sport le plus regardé de la planète". En 2024, 123 millions d'Américains l'avaient regardé, ce qui en a fait l’événement le plus suivi à la télé américaine depuis l’alunissage d’Apollo, le 21 juillet 1969.

Si jamais un président n'avait assisté au Super Bowl, tous ont compris l'intérêt de ce grand moment d'unité américaine. En 1985, Ronald Reagan avait procédé au "pile ou face" depuis la Maison Blanche. Dix-sept ans plus tard, George H.W. Bush avait également participé à la cérémonie de tirage au sort du Super Bowl 2002.

C'est aussi George W. Bush qui inaugure en 2004 la tradition de s'adresser à la nation réunie avant le match par une interview ou un message enregistré. Et s'ils n'assistent pas dans les tribunes, les présidents américains savent aussi se mettre en scène en Américain comme les autres, affalés dans leur fauteuil devant le match de l'année. À l'image d'Obama, pour son premier Super Bowl en tant que président en 2009.

Barack et Michelle Obama regardant le Super Bowl en 3D depuis la Maison blanche.
Barack et Michelle Obama regardant le Super Bowl en 3D depuis la Maison blanche. © Pete Souza, Maison blanche, AFP

"Le Super Bowl a toujours été politique. C'est un divertissement absolu, avec souvent des pubs plus scrutées que le match en lui-même. C'est aussi un show grandiose à la mi-temps qui fait autant parler que le football. Au fond, c'est une démonstration du soft power américain tant dans tout ce qu'il a de grand, de brillant et clinquant", note Simon Chadwick. "C'est la puissance de séduction du rêve américain."

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"En se rendant au Super Bowl, Donald Trump n'est pas en terrain conquis", continue l'expert, qui rappelle que, contrairement au Nascar ou au hockey qui sont davantage des sports républicains, le football américain est plus partagé. "Il tente peut-être de séduire de nouveaux publics."

Des relations compliquées entre la NFL et Donald Trump

Les relations entre la National Football League (NFL) et le 47e président américain sont loin d'être au beau fixe. Et cela ne date pas d'hier.

Dès les années 1980, l'animosité est grande. En 1984, Donald Trump s'offre le club des New Jersey Generals, qui évolue dans une des deux ligues américaines de football américain à l'époque, l'USFL. Deux ans plus tard, il traîne en justice la NFL qu'il accuse de monopole. Il gagne le procès, la NFL étant reconnue coupable, mais l'amende dérisoire - trois dollars - obtenue par l'USFL en dédommagement ne l'empêche pas de couler.

"La venue de Donald Trump cette année au Super Bowl est aussi une démonstration de force alors qu'il semble vouloir solder les comptes des affronts passés", explique Simon Chadwick.

La rancœur de Donald Trump sera grande et le football américain sera une de ses cibles préférées. Un sport devenu "mou", selon lui. Fin 2016, la guerre froide entre le milliardaire et le football a atteint son acmé, sur fond de mouvement antiraciste "Black Lives Matter".

Colin Kaepernick et Eric Reid, genou à terre contre le racisme, lors d'un match en septembre 2016.
Colin Kaepernick et Eric Reid, genou à terre contre le racisme, lors d'un match en septembre 2016. © Thearon W. Henderson, Getty Images via AFP

 

Colin Kaepernick, le quarterback des 49ers de San Francisco, met un genou à terre, initiant un mouvement #Takeaknee qui est allé bien au-delà de son sport. Donald Trump, alors en pleine campagne électorale contre Hillary Clinton, déclare cependant : "Sortez-moi ce fils de pute du terrain, il est viré, viré !" en référence à son émission télé "The Apprentice".

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La violence de sa réaction avait provoqué un tollé et Kaepernick avait été défendu par beaucoup de joueurs de la Ligue. En 2018, Donald Trump fait pression sur la NFL pour interdire le genou à terre durant les hymnes. En retour, plusieurs joueurs des Philadelphia Eagles, vainqueurs cette année-là, annoncent ne pas vouloir se rendre à la Maison Blanche pour la traditionnelle réception des gagnants. Donald Trump voit rouge et annule tout bonnement la célébration.

La NFL sur une ligne de crête

Pendant cette période, le commissaire de la Ligue, Roger Goodell, se retrouve entre le marteau Trump et l'enclume des joueurs. En tant que représentant des intérêts des grands milliardaires propriétaires des franchises de la NFL – majoritairement donateurs républicains –, il doit composer avec les invectives du président, tout en ménageant les joueurs.

Un tournant s'amorce cependant en juin 2020. Cette année-là, Roger Goodell rompt avec les tentatives de neutralité et affirme publiquement : "Nous avons eu tort" face au mouvement antiraciste des joueurs. "Je proteste personnellement avec vous et je veux participer au changement dont ce pays a tant besoin." L'heure est alors au déclin de Donald Trump et la prise de pouvoir annoncée de Joe Biden.

Depuis, à chaque Super Bowl, le message "End Racism" ("mettons fin au racisme") est affiché dans la zone de buts. Un message qui sera exclu du terrain cette année pour être remplacé par "Choose love" (Choisissons l'amour) et "It takes all of us" (Nous avons besoin de tout le monde).

En lien avec le retour de Trump au pouvoir, alors que le "wokisme" s'est imposé comme le bouc-émissaire de tous les problèmes de l'Amérique dans ses discours, la Ligue jure que non et lie ce choix aux récentes tragédies qui ont marqué les États-Unis, dont l’attaque au camion-bélier à La Nouvelle-Orléans, les feux à Los Angeles et le crash d’avion à Washington. Pourtant, dans le même temps, la NFL rechigne à autoriser Bluesky, le concurrent de X, désormais aux mains d'Elon Musk.

"Compte tenu de l'alliance de Trump avec Musk, toute migration loin de X encourra probablement la colère des républicains. Compte tenu de l'imprévisibilité de Trump, plusieurs organisations tentent de se couvrir. Mais en même temps, cette attitude pourrait les éloigner de leurs fans afro-américains, démocrates et de la Génération Z qui a commencé à suivre le football grâce à Taylor Swift..", analyse Simon Chadwick. "Ils tentent donc de satisfaire tout le monde."

Pour ménager la chèvre et le chou, Roger Goodell a aussi pris le risque de s'attirer les foudres de la Maison Blanche en insistant sur le fait que la NFL restait fermement engagée dans la promotion de la diversité et des pratiques d'embauche inclusives (DEI).

Donald Trump fait du "sport un outil politique"

Golfeur invétéré, Donald Trump a toujours eu un pied dans le monde du sport. Outre son aventure avec une franchise de football américain dans les années 1980, le milliardaire a aussi tenté de lancer un tour cycliste à son nom qui a connu deux éditions en 1989 et 1990. À la même époque, il se mêle aussi à la boxe, faisant combattre Mike Tyson, accusé d'un viol, dans ses casinos. Enfin, dans les années 2000, il devient un personnage récurrent de la WWE, la plus grande ligue de catch au monde, au point d'être intronisé au Hall of Fame de la ligue en 2013. Douze ans plus tard, Linda McMahon, la femme du patron de la WWE, est nommée secrétaire d'État de l'éducation dans son gouvernement. Dernièrement, c'est l'UFC, la ligue de MMA, qui s'est affichée en soutien inconditionnel du républicain.

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Donald Trump lors de la fin de "la bataille des milliardaires" l'ayant opposé fictivement à Vince Mcmahon, propriétaire de la WWE.
Donald Trump lors de la fin de "la bataille des milliardaires" l'ayant opposé fictivement à Vince Mcmahon, propriétaire de la WWE. © Bill Pugliano, Getty Images via AFP

"Le sport, c'est avant tout un divertissement. Et Donald Trump est un homme de divertissement. Et il a longtemps vu le sport comme un endroit où investir", explique Simon Chadwick. "Mais, après son premier mandat, je pense qu'il est passé d'un intérêt purement commercial et entrepreneurial pour le sport à une logique politique. Il fait du sport une arme politique en l'instrumentalisant. Il a compris que c'était un outil de soft-power."

Lors de son investiture le 20 janvier, le tout-puissant président de la Fifa, Gianni Infantino, était nommément cité par Donald Trump dans son discours. Entre la toute nouvelle Coupe du monde des clubs en juin prochain, le mondial coorganisé avec le Mexique et le Canada en 2026 et les JO de Los Angeles en 2028, on n'a pas fini de voir Trump dans des tribunes.