Le prix de l'intelligence de la main ou comment aider les métiers d’art

Avec son allure sans façons et son franc-parler, Catherine Roman, vannière, a illuminé la cérémonie de la fondation Bettencourt-Schueller, jeudi soir. Récipiendaire du prix de l’Intelligence de la main (50 000 euros, puis 100 000 d’éventuel accompagnement sur trois ans), elle a profité de sa position sur l'estrade pour dresser un plaidoyer d’un métier à la fois méconnu et sous-estimé. «Il m’a fallu vingt ans pour maîtriser cet art. Nous les vanniers, ne sommes pas des petites mains créant des petits paniers vendus dans des petits marchés» a-t-elle indiqué. Sa création Tresser l’ombre, co-réalisée avec la designer Clémence Althabegoïty, montre en effet autre chose. La grande sphère en osier qu’elles ont imaginée peut protéger du soleil tout en jouant le rôle d’un cadran solaire. Utile et poétique! L’osier étant menacé par le dérèglement climatique, et son traitement faisant parfois appel à des produits chimiques, les deux femmes vont poursuivre leur collaboration en essayant de redonner vie à une technique ancestrale naturelle. 

Catherine et Clémence font désormais partie des 131 artistes et artisans récompensés et accompagnés depuis 25 ans par la fondation Bettencourt. Créé par Liliane Bettencourt, à un moment où les métiers d'art n'occupaient pas l'imaginaire comme aujourd'hui, la fondation s’est affinée et développée, sous l’impulsion de sa fille Françoise Bettencourt Meyers. Le prix récompense aujourd’hui autant le travail traditionnel que l’innovation et les techniques durables. Cette année, il a également fait entrer dans le cercle des heureux élus l’association Acta Vista, qui embauche et forme des personnes précaires aux métiers du Patrimoine. Les métiers d’art, connus pour leur technicité au service de la beauté, de l’extraordinaire et du luxe, trouvent aussi une raison d’être dans le champ social. 

En un quart de siècle, la fondation est devenue un acteur financier non négligeable dans ce secteur, qui compte 60 000 entreprises, dont nombre n’occupe qu’une seule personne. Outre le soutien d’artistes comme Mathieu Lehanneur - à qui on doit la vasque des Jeux Olympiques- ou Guillaume Bardet - qui a créé le mobilier liturgique de Notre Dame de Paris- la fondation a aidé quantité d’artisans, porcelainiers, plumassiers, orfèvres, doreurs, laqueurs, gantiers, verriers ou autres. Le prix est devenu un label d’excellence, une «étoile filante qu’on cherche à attraper», selon l’expression de Catherine Roman. 

Soutenant le Mobilier National, l’Opéra de Paris ou le campus de Versailles, elle permet à des artistes de se rendre en résidence à la villa Médicis à Rome ou à celle de Kujoyama, à Kyoto. Après l’incendie de Notre Dame de Paris, elle a versé 100 millions d’euros pour aider à la transmission des savoir-faire. Son regard s’est aussi porté dans des coins de France plus reculés: le centre verrier mosellan de Meisenthal, fermé dans les années 60, doit une partie de son salut et de sa renaissance à la fondation. Vivant de boules de Noël en verre soufflé, il possède désormais un musée, et présente son art aux yeux du public. 

Jeudi, le mot de famille courrait sur les lèvres, à commencer par celles de Yann Grienenberger, directeur du centre verrier de Miesenthal. Les lauréats se sont d’ailleurs réunis dans une association, qui leur permet de partager les sujets du moment, comme l’introduction de l’IA, et parfois même de créer ensemble. «L’avenir des métiers d’art est radieux» a prédit l’orfèvre Nicolas Marischael. Jeudi soir, devant tant d’enthousiasme, chacun en était convaincu.