Meurtre de Lola : la perpétuité incompressible, requise à l’encontre de Dahbia Benkired, une peine rarissime

C’est un réquisitoire ferme et sans appel à l’encontre d’une femme qui a «tué pour assouvir ses désirs.» Ce vendredi matin, le ministère public a requis la réclusion criminelle à perpétuité incompressible contre Dahbia Benkired, accusée d’avoir violé, torturé et tué Lola Daviet, le 14 octobre 2022 à Paris. Il s’agit de la peine la plus lourde prévue par le Code pénal français.

Aux yeux de l’avocat général, ces réquisitions sont «à la hauteur de la cruauté, de la souffrance chez la victime et sa famille, des attentes de la famille et de toute la société». Le verdict est quant à lui attendu d’ici la fin de journée. Que signifie cette peine ? Pourquoi la qualifie-t-on de rarissime ? Le Figaro fait le point avec Maître Paul-Henry Devèze, avocat pénaliste au barreau de Paris.

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Qu’est-ce que la perpétuité ? Et pourquoi parler de «perpétuité incompressible» ?

On pourrait penser que la perpétuité est synonyme de prison à vie, mais cette peine de prison - on parle de «réclusion criminelle» quand c’est pour des crimes aux assises et non d’«emprisonnement» -, sans possibilité de libération, n’existe pas en France. Quand on évoque la «réclusion criminelle à perpétuité», cela signifie en droit que la peine prononcée n’est pas limitée dans le temps. En revanche, le condamné peut demander des aménagements de peine : dans les faits, il peut donc sortir de prison à partir d’un certain moment.

Néanmoins, le juge peut assortir cette peine d’une mesure de sûreté appelée «période de sûreté» : pendant celle-ci, aucun aménagement de peine ne sera possible. C’est dans ce cadre qu’intervient la «perpétuité réelle» ou «incompressible». Elle correspond à la période de sûreté la plus longue possible : 30 ans. Autrement dit, même cette peine maximale ne correspond pas à une «prison à vie». En effet, passé ce délai de 30 ans, le condamné pourra bénéficier d’un examen de sa peine. «Même accompagnée d’une période de sûreté extrême, aucune peine ne peut échapper au principe d’individualisation», précise Maître Devèze, précisant que «le retour progressif du condamné à la liberté est un principe supérieur dans notre démocratie».

Quand a-t-elle été inscrite dans le Code pénal et pourquoi ?

La peine de prison à perpétuité «incompressible» est assez récente. Elle a été inscrite en 1994 dans le Code pénal, sous le gouvernement Balladur, après l’assassinat et le viol d’une fillette de 8 ans par Patrick Tissier, déjà condamné en 1971 pour des faits similaires. À l’époque, le garde des Sceaux, Pierre Méhaignerie, avait été touché par l’affaire, l’incitant à faire évoluer la législation pour les assassinats concernant des mineurs et lorsque cet assassinat se double de viols, d’actes torture ou de barbarie.

Le champ d’application de la perpétuité incompressible a été élargi en 2011 aux infractions d’assassinat commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie nationale, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions.

Puis une loi promulguée en 2016 a étendu le champ d’application aux crimes terroristes. Concrètement, «si la réclusion criminelle à perpétuité est prononcée, la cour d’assises peut aller jusqu’à décider qu’aucune des mesures d’individualisation et d’aménagement énumérées ne sera accordée, ce qui revient à faire de la condamnation une peine figée dans le temps pour toute la vie du condamné.» Car rien ne dit que les juges accepteront la demande d’aménagement de peine que le condamné peut faire à l’issue des 30 ans de détention.

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Pourquoi qualifie-t-on cette peine de rarissime ?

Si cette peine est qualifiée de rarissime, c’est parce qu’elle n’a été prononcée que très peu de fois dans l’histoire judiciaire française. Depuis la réforme de 1994, elle n’a été prononcée qu’à six reprises.

  • En 2007, Pierre Bodein, dit «Pierrot le fou» a été condamné par la Cour d’assise de Strasbourg pour trois meurtres, trois viols et trois enlèvements. Sa situation ne pourra pas être rééxaminée avant 2034.
  • En 2008, Michel Fourniret, dit «l’ogre des Ardennes», a été condamné pour le meurtre de sept jeunes femmes et l’agression de trois autres. Il est décédé en 2021.
  • En 2013, Nicolas Blondiau a été condamné pour avoir violé et tué en 2011 la petite Océane, âgée de 8 ans.
  • En 2016, Yannick Luendé-Bothelo, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible pour le viol et l’assassinat de Marion, 14 ans, à Bouguenais, près de Nantes en 2012.
  • En 2022, Salah Abdeslam a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible pour sa participation aux attentats du 13-Novembre. Ses avocats avaient alors parlé d’une «peine de mort sociale».
  • En 2024, Brahim Aouissaoui a été condamné à la peine maximale pour avoir assassiné un sacristain et deux fidèles à l’intérieur de la basilique de Nice, le 29 octobre 2020. Il a fait appel de cette décision.

Pourquoi le ministère public a requis cette peine contre Dahbia Benkired ?

Aux yeux du ministère public, les crimes commis sur la jeune Lola sont «marqués par une totale gratuité». Ils «ont fait basculer une famille dans une souffrance sans nom.» Face à cette cruauté, la justice est confrontée à la personnalité «psychopathique» de l’accusée. «Une femme à la personnalité perverse pour laquelle les experts ont souligné la difficulté d’engager un protocole de soins», a rappelé l’avocat général en s’adressant aux jurés.

La veille, l’ensemble des experts qui ont défilé à la barre ont expliqué avoir décelé chez elle une grande froideur, de l’impulsivité, une forte intolérance à la frustration, un narcissisme pathologique et un caractère antisocial. Cette personnalité «psychopathique» la rend extrêmement dangereuse. «Le risque de violences est plus important, plus intense et plus fréquent. On est au maximum de la dangerosité criminologique», a prévenu l’un des praticiens.

«Il y a un risque qu’elle soit dans la perversion du lien avec le thérapeute et que toute tentative de prise en charge soit vaine», a conclu jeudi le docteur Karine Jean. En s’appuyant sur ces expertises, l’avocat général a donc rappelé à la cour le risque extrêmement élevé de récidive. La perpétuité incompressible est, aux yeux du ministère public, un moyen de «protéger la société au nom de nos valeurs les plus cardinales, la vie, la dignité humaine, l’intégrité sexuelle.»

En cas de condamnation, comment pourrait-elle solliciter un examen de sa peine et demander un aménagement ?

En cas de condamnation, la personne condamnée peut solliciter un examen de sa peine sous plusieurs conditions :

  1. Qu’après que le condamné a subi une incarcération d’une durée au moins égale à trente ans ;
  2. Que lorsque le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale ;
  3. Que lorsque la réduction de la période de sûreté n’est pas susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public ;
  4. Qu’après avoir recueilli l’avis des victimes ayant la qualité de parties civiles lors de la décision de condamnation ;
  5. Qu’après expertise d’un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation procèdent à une évaluation de la dangerosité du condamné.
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Cette procédure est donc particulièrement lourde et les conditions d’aménagement de peine sont nombreuses. «La lourdeur du mécanisme est à la mesure du message politique : convaincre l’opinion que les condamnés échapperont difficilement à la ’perpétuité incompressible’», conclut Maître Devèze.