Chie Hayakawa : «Aujourd’hui encore, il reste difficile de concilier sa vie de femme et de réalisatrice»
En 2022, son Plan 75, était présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard,et remportait la mention spéciale de la Caméra d’Or, qui récompense les premiers films. Chie Hayakawa revient aujourd’hui à Cannes en compétition, avec Renoir : l’histoire d’une petite fille, dans les années 80 à Tokyo, confrontée à la maladie de son père, et à la détresse de sa mère. La réalisatrice japonaise était l’invitée du deuxième talk Women In Motion, le programme de Kering qui met en valeur les artistes féminines contemporaines. Elle était accompagnée de son compatriote Hirokazu Kore-Eda, lauréat de la Palme d’Or en 2018 pour Une affaire de famille. Tous deux ont évoqué leurs parcours respectifs, leurs sources d’inspiration, et la place des femmes dans le cinéma japonais et au-delà.
Filmer le monde à travers des yeux d’enfants
Chie Hayakawa l’affirme : son désir de cinéma est né très tôt, dès l’enfance. «Ce que j’aimais, c’étaient les films qui disaient à ma place ce que je n’arrivais pas à exprimer, quel que soit le pays, ou l’époque à laquelle ils avaient été réalisés. Ce sont ces films qui m’ont nourrie depuis toute petite». Parmi ceux-ci, elle cite Maborosie, le premier film de Kore-Eda, sorti en 1995. Ce dernier, issu d’une génération antérieure et dont la vocation est venue plus tard, à l’université, évoque quant à lui Fellini et Hou Hsiao-Hsien.
L’enfance : un thème qui les lie les deux cinéastes. Kore-Eda l’a souvent mise en scène (Nobody Knows, Innocence…) : «Au début, j’aimais simplement filmer les enfants. Puis j’ai été attiré par le fait de critiquer, ou en tout cas de dépeindre les travers de la société à travers leur regard. C’est aussi ce que j’ai aimé dans Renoir.»
Réalisatrice : une profession inaccessible?
Quant à la place des femmes dans le cinéma, tous deux s’accordent à dire qu’elle participe d’un dialogue essentiel entre l’industrie et l’évolution de la société : «Des évènements tels que Women In Motion permettent justement de faire résonner ce qui se passe à l’extérieur, dans le monde, avec ce qui se produit dans le cinéma», estime Kore Eda. Celui qui tient à ce que ses équipes soient majoritairement composées de femmes souligne combien elles le «portent». Et combien «la mentalité sur un plateau change, du simple fait que ces proportions évoluent.» Mais le réalisateur tient à rappeler combien le chemin reste long à parcourir. Chie Hayakawa peut en témoigner : «Il est plus facile qu’auparavant d’être une réalisatrice au Japon. Quand j’étais adolescente, c’est une profession qui me semblait inaccessible. Ma première appréhension était de savoir si je pouvais accéder à ce métier.» Et ensuite, de pouvoir le poursuivre tout en menant une vie familiale : «Le cinéma a été une vocation. Avant d’avoir des enfants, j’y dédiais la plus grande partie de ma vie, et j’y prenais beaucoup de plaisir. Cela a été moins possible ensuite, cela me semblait même déplacé. Aujourd’hui, s’il existe moins d’obstacles en théorie, il reste difficile de concilier sa vie de femme et de réalisatrice.» Aider les femmes à simplement faire garder leurs enfants, maintenir des journées de tournage dans des horaires corrects : une évolution indispensable que soutient Kore-Eda. Ainsi que la nécessité de combattre les stéréotypes, dans l’industrie comme dans les films eux-mêmes. Un combat qui tient également à cœur à Chie Hayakawa : «Chez moi, la prise de conscience a été progressive. Je me suis rendu compte que dans les films, les personnages féminins avaient souvent besoin d’être aidés, ou secourus. Cela m’a rendue plus vigilante sur la représentation des femmes, et des personnages en général.» Pour un cinema en mutation, reflet d’une société qui cherche le progrès.