Le sourire perdu de Fatem, la photographe de Gaza, bouleverse le Festival de Cannes
Qu'aurait pensé Fatima Hassouna, surnommée Fatem, si elle avait pu quitter sa prison de Gaza pour la Côte d'Azur ? Jeudi 13 mai, pour la première du film au cinéma Olympia, une jeune femme entre dans la salle, moulée dans une robe de soirée aussi rouge que les fauteuils. Sait-elle qu'elle va assister à l'agonie d'une jeune femme de 24 ans ? Au Festival de Cannes, deux mondes s'entrechoquent et le contraste est parfois violent. Le film Put Your Hand on Your Soul and Walk [tiré d'une citation de Fatem : "Quand tu sors à Gaza, tu mets ton cœur dans ta main et tu marches"] fait partie des neuf longs-métrages choisis cette année par les cinéastes de l'Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion). Le film sort en salles le 24 septembre 2025.
La réalisatrice Sepideh Farsi, ancienne prisonnière politique iranienne, exilée en France, prend la parole, avec beaucoup d'émotion dans la voix, avant le début de la projection, expliquant que Fatem lui a "beaucoup donné". Elle disait, explique-t-elle, que sa caméra était "une arme" et qu'elle voulait "une mort bruyante, éclatante". La jeune femme affirmait qu'elle resterait sur sa terre, ajoutant "Mon Gaza a besoin de moi". "Ce soir, conclut la réalisatrice, elle n'est pas là et elle est là quand même. Ils n'ont pas pu la vaincre. Fatem, tu es avec nous ce soir. Vous allez la rencontrer, elle est brillante."
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La réalisatrice raconte au début de son film qu'elle a tenté en vain de se rendre à Gaza via l'Egypte. Au Caire, elle a rencontré des réfugiés palestiniens qui lui ont permis d'entrer en contact avec Fatima Hassouna. Elle demande à la jeune photographe de filmer Gaza, chose désormais impossible pour les étrangers. La jeune femme, qui veut absolument documenter la situation de son peuple, accepte. Le film témoigne de sa vie depuis le déclenchement de la guerre, après l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023, mais aussi de la naissance de leur amitié par écran interposé. Les deux femmes échangent en anglais.
Ce qui frappe, c'est le sourire éclatant de Fatem. Un sourire immense, dévorant, qui éclaire son visage d'une lumière de madone. Coquette, elle porte des voiles colorés et des lunettes masquent souvent ses grands yeux verts. Ses proches apparaissent parfois sur l'écran de son téléphone : des enfants, ses deux frères âgés de 20 et 15 ans, son père... et les immeubles en ruine qu'elle aperçoit depuis ses fenêtres.
C'est à nous qu'elle s'adresse
À partir du 24 avril 2024, dès que la connexion internet le permet, Fetma raconte à Sepideh, avec une intelligence rare, ce qu'elle traverse. Cette femme engagée n'ignore jamais qu'elle est filmée. En se confiant à Sepideh, c'est à nous qu'elle s'adresse. Elle dit en parlant des Palestiniens : On est des gens importants dans le monde (…) On va rire et vivre notre vie, qu'ils le veillent ou non. Fatima raconte qu'elle a déjà perdu treize êtres chers, dont une tante, décapitée par un bombardement. Les questions de la réalisatrice sont celles que nous nous posons en regardant à la télévision les terrifiantes images de la bande de Gaza dévastée : que buvez-vous, que mangez-vous, où vous cachez-vous, as-tu peur ?
Le grand défaut du documentaire est sa qualité technique. Tout semble bricolé et improvisé, comme dans ces vidéos amateurs qui pullulent sur les réseaux sociaux. La réalisatrice filme l'écran de son téléphone, sans se stabiliser. Les images bougent en permanence, ce qui nuit non seulement au confort, mais aussi à la compréhension. Plusieurs spectateurs, lassés, sont même sortis de la salle. Sepideh Farsi insiste sur les ruptures de connexion illustrant la difficulté de Fatem à communiquer, mais était-il nécessaire de le faire de façon aussi récurrente ? Le film aurait certainement gagné en force s'il avait été un peu plus court.
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Il est pourtant tellement nécessaire d'écouter Fetma jusqu'au bout. D'entendre ses rêves de voyage à Rome, de poulet et de chocolat. De comprendre les ressorts de sa résistance. De l'écouter chanter. De voir son sourire peu à peu s'effacer, sa fatigue s'installer en même temps que la dépression. Il faut aller jusqu'au bout pour admirer ses photos extraordinaires qui émaillent tout le film et ce long plan séquence dans les ruines de Gaza.
Le documentaire s'achève sur une dernière conversation, le 15 avril 2025. La réalisatrice annonce à Fetma que le film a été sélectionné pour le fameux Festival de Cannes. La Gazaouie peine d'abord à comprendre de quoi il s'agit avant de dire que "C'est génial" et qu'elle veut venir "bien-sûr". Il n'est pas certain qu'elle y ait vraiment cru. Fatima est morte dans la nuit qui a suivi, victime avec ses frères et sœurs d'un bombardement. Nous ne verrons pas à Cannes le sourire de Fatem.
Elle disait à propos de la guerre à Gaza "Je ne sais pas quand, mais je sais que ça finira". Depuis le 2 mars 2025, un blocus total imposé par Israël fait que plus rien n'entre sur le territoire. La famine, dont elle parle dans ce film bouleversant tue, comme la peur et les bombes.