Greenwashing : la Papouasie-Nouvelle-Guinée relance le commerce des crédits carbone forestiers et tend les bras aux entreprises polluantes
La volte-face est à tout le moins surprenante : la Papouasie-Nouvelle-Guinée, par la voix de son ministre du Climat, Simo Kilepa, a annoncé jeudi 10 avril vouloir lever « immédiatement » l’interdiction du commerce des crédits carbones forestiers sur son sol. « Nous disposons désormais d’une réglementation du marché du carbone et de lignes directrices pour le gérer et le réglementer », a-t-il expliqué à l’AFP. Le moratoire, instauré dans le pays en mars 2022 suite à de nombreux scandales liés aux abus des « cow-boys du carbone », appartient donc déjà au passé.
Le système des crédits carbone, introduit par le protocole de Kyoto de 1997, permet à des États, à des sociétés ou à des particuliers, de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en finançant des projets de protection de l’environnement. On parle en l’espèce de préservation de la forêt : chaque tonne de carbone que le projet de conservation aura permis de capter sur une parcelle initialement menacée par la déforestation équivaudra à un crédit.
Dit autrement, il s’agit d’une opération de greenwashing institutionnalisé. Offrir sur un plateau d’argent la possibilité à des grandes entreprises polluantes de financer des projets vertueux pour le climat sans que celles-ci ne réduisent leurs émissions, cela au mépris du respect de l’accord de Paris de 2015.
Violation des droits des communautés locales sur leurs terres
Les tenants des énergies fossiles sont particulièrement friands de ces projets de compensation. Les dérives qui en découlent sont légion, en matière environnementale comme pour les droits humains. Au Libéria par exemple, pays d’Afrique de l’Ouest, l’entreprise émiratie Blue Carbon – fondée par le cheikh Ahmed Dalmook Al-Maktoum, un membre de la famille royale de Dubaï – s’est vue octroyer, en 2023, des droits exclusifs sur un million d’hectares de forêts convertibles en crédits carbone, soit 10 % du territoire libérien, le tout sur une durée de 30 ans. Un contrat synonyme de colonisation déguisée des terres, puisque les communautés locales, qui tirent leurs subsistances des ressources forestières, n’ont pas eu voix au chapitre.
Si les promoteurs de ces échanges son censés obtenir en amont le consentement libre, préalable et éclairé des communautés concernées, le marché souffre en réalité d’un manque criant de règles, leur permettant notamment de vendre des crédits sans valeur. Une enquête menée conjointement par les médias The Guardian et Die Zeit en partenariat avec l’ONG SourceMaterial a révélé, début 2023, l’existence de ces opérations fantômes.
L’an dernier, après près de neuf ans d’âpres négociations sur ce dossier, la COP29 de Bakou a entériné des mesures régissant les échanges d’émissions de co2 entre États et entreprises, mais ce nouveau cadre est loin d’être suffisant.
La déforestation continue au mépris des engagements des entreprises
En Papouasie Nouvelle-Guinée, le moratoire sur le commerce des crédits carbone forestiers avait succédé à une série de scandales. En 2023, des journalistes de la chaîne nationale australienne ABC se sont rendus dans des villages isolés de la Nouvelle-Irlande, au nord-ouest de l’État du Pacifique, à la rencontre des habitants de la forêt tropicale. Ils y ont découvert que sur certaines parcelles dédiées à des projets de compensation carbone menés par des entreprises australiennes – dont certaines émanent du secteur pétrogazier -, en dépit des mesures de protection, l’exploitation du bois et le défrichement se poursuivaient.
Certaines de ces sociétés auraient ainsi tenté de recueillir l’assentiment des propriétaires terriens et des populations autochtones, en leur faisant signer des documents qu’ils n’étaient parfois pas en capacité de lire ou de comprendre, bien que l’une de ces firmes se soit justifiée auprès d’ABC de l’emploi d’un traducteur. Aucun représentant de l’État n’encadre par ailleurs ce processus opaque.
Plusieurs chefs de village, qui avaient signé des accords, ont par la suite accusé ces entreprises étrangères de ne pas tenir leurs promesses. Des litiges fonciers sont également apparus, au point que l’expression de « cow-boy du carbone » émerge. « Je pense qu’il s’agit d’une forme de néocolonialisme », a résumé Gary Juffa, membre du Parlement national de Papouasie-Nouvelle-Guinée, au média australien.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée est un des marchés carbone les plus florissants au monde, selon l’ONG Carbon Watch Watch. Ses forêts humides, faisant partie de la troisième plus vaste étendue de forêt tropicale de la planète, concentreraient à elle seule 7 % de la biodiversité mondiale. Une poule aux oeufs d’or pour les acteurs du business de la compensation des émissions de Co2.
Si le ministre du Climat papouan-néo-guinéen promet un commerce des crédits carbone forestiers dûment circonscrit, les inquiétudes demeurent. La semaine passée, des représentants de l’Etat ont affiché la couleur : devenir un « acteur clé dans le marché international du carbone ».
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