L’œil de l’INA : quand Jean Gabin ouvrait la première cérémonie des César
L’image est entrée dans l’histoire du cinéma : le 3 avril 1976, peu après 20 heures 30, devant les 3800 spectateurs du Palais des Congrès, ouvert deux ans auparavant, et les caméras d’Antenne 2, Jean Gabin prononce une formule amenée à devenir rituelle : après avoir été accueilli sur le plateau par Jean-Claude Brialy, parfait maître de cérémonie, il déclare ouverte la première nuit des César.
En coulisses, Georges Cravenne, producteur de la soirée pousse un soupir de soulagement. Il lui a fallu très exactement un demi-siècle pour concrétiser le rêve de ses 13 ans : adapter à la France la Cérémonie des Oscars. D’abord journaliste, il a révélé en 1948 l’histoire d’amour entre Piaf et Cerdan, il deviendra ensuite le roi des relations publiques. INA Madelen vous propose de voir ou de revoir ce moment historique des César.
Dans les années 50/7O, il a organisé la plupart des fêtes qui ont fait la légende du Tout-Paris. Obsédé par cet hommage au cinéma, auquel il était alors le seul à croire, il l’évoque un soir avec le sculpteur César. Le déclic se produit au cours de la conversation : pourquoi ne pas réaliser un bronze doré dont chacune des reproductions serait remise à un lauréat ? C’est ainsi que naît une œuvre d’art d’environ 3, 7 kilos, représentant un personnage sans tête enroulé dans une bobine de film, mesurant 30 centimètres de haut.
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En parallèle, Cravenne crée en 1975 l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma composée de 950 professionnels du 7e Art, parmi lesquels des producteurs, mais aussi des réalisateurs, des scénaristes, et des interprètes. Ce sont eux qui, par un vote à bulletins secrets, désigneront les lauréats dans chacune des 13 catégories établies par le règlement. Parmi elles, figurent le meilleur film, la meilleure actrice, le meilleur acteur, le meilleur décor ou la meilleure photo. La liste va évoluer au fil des années avec des récompenses décernées, entre autres, au premier film , aux espoirs féminin et masculin , aux costumes, au court-métrage, au documentaire , au film d’animation . Il est également décidé que les votes seront confiés à un huissier,- à l’époque Maître Karsenty -, qui, le jour de la cérémonie, à 17 heures, à l’issue d’un dépouillement par ordinateur, glissera les noms des gagnantes et gagnants dans des enveloppes scellées. Il sera alors le seul à connaître les résultats.
Georges Cravenne nous a quittés en 2009, mais celles et ceux qui lui ont succédé ont maintenu la tradition : la soirée au Théâtre du Chatelet, en smoking et robe longue, animée chaque année par un maître de cérémonie différent et désormais diffusée sur Canal +. Elle se conclut toujours par un dîner au Fouquet’s, sur les Champs-Élysées.
Les plus anciens sourient en évoquant quelques-unes des anecdotes qui ont marqué le premier demi-siècle des César. Ils conservent ainsi en mémoire la colère du sculpteur quand il a découvert que, sans son accord, la lettre « s » avait été ajoutée à l’intitulé de l’évènement. Il estimait qu’en remerciement à son travail bénévole et pour sa postérité, ce devait être son nom, et rien d’autre, qui devait être associé à la cérémonie.
Parmi les moments insolites figure l’instant de 1977 où, après avoir reçu son César, Michel Galabru, portant en même temps une cravate et un nœud papillon, quitte la scène sans dire un mot. Il y a aussi le soir où Alain Delon, sacré meilleur acteur, brille par son absence. Coluche, avait prévu le coup et écrit une fausse lettre de remerciements qu’il lit devant une salle hilare. Parmi les instants les plus émouvants figurent la standing ovation pour Jean-Paul Belmondo, après 28 ans de brouille avec les organisateurs, et l’ultime apparition de Bernard Blier, souffrant d’un cancer, le temps de la remise d’un trophée d’honneur par son ami Michel Serrault.
Il ne faut pas oublier enfin cette soirée de 1996 où, avec dans les mains le César de la meilleure actrice pour un second rôle dans Les Misérables de Claude Lelouch, Annie Girardot lance au bord des larmes , «Je ne sais pas si j’ai manqué au cinéma français, mais à moi le cinéma a manqué. Follement. Éperdument. Douloureusement. Votre amour me fait penser que peut-être, je dis bien peut-être, je ne suis pas encore tout à fait morte ». Elle est désormais immortelle.