Pourquoi le mois de votre conception influence votre poids et votre santé à l’âge adulte
Famine, guerre, maltraitance… De nombreux travaux scientifiques montrent les effets délétères, chez la descendance, d’une exposition des parents à un stress environnemental. Mais d’autres types de stress pourraient-ils avoir des effets positifs ? Des chercheurs japonais montrent que l’exposition des parents au froid, dans la période de conception, permet à leurs enfants d’arborer à l’âge adulte un IMC plus bas, moins de graisse abdominale, et moins de troubles métaboliques, comme le diabète.
À la manœuvre, la graisse brune, un type de tissu adipeux que l’on a longtemps cru être l’apanage des bébés. L’adulte en possède-t-il encore ? « Oui ! », répond le Pr Daniel Ricquier, membre de l’Académie des sciences, chercheur émérite CNRS/AP-HP Hôpital Necker et Institut Cochin, spécialiste de ce type de cellules.
Les chercheurs japonais auteurs des travaux publiés dans Nature Metabolism montrent, grâce à des techniques d’imageries sophistiquées réalisées sur plusieurs cohortes indépendantes de volontaires en bonne santé, qu’avoir été conçu en hiver permet d’avoir à l’âge adulte plus de graisse brune détectable. En outre, celle-ci s’active davantage en cas d’exposition au froid, ce qui permet de mieux s’y adapter. Grâce à des analyses statistiques poussées, ils identifient deux facteurs clés dans les conditions de vie des parents avant la conception : une température extérieure basse, et des fluctuations importantes de la température diurne.
Les cellules de graisse brune sont « des adipocytes qui ont une allure très particulière : ces derniers contiennent moins de triglycérides que les adipocytes “blancs” (le réservoir d’énergie qui a une fâcheuse tendance à s’accumuler là où on ne souhaiterait pas la voir, NDLR), et un nombre de mitochondries absolument colossal », explique Daniel Ricquier. Ce sont ces mitochondries qui font la force de la graisse brune : avec l’oxygène, ces organites produisent de l’ATP, carburant des cellules. Mais « dans les adipocytes bruns, les mitochondries ne fabriquent que très peu d’ATP et beaucoup de chaleur », explique Daniel Ricquier.
500 watts par kilo
« Chez les animaux hibernants, c’est la graisse brune qui permet une brusque hausse de la température corporelle au moment du réveil », note Daniel Ricquier. C’est elle aussi qui permet au bébé de se maintenir au chaud, alors qu’il ne dispose pas des autres mécanismes utilisés par l’adulte, comme la capacité à frissonner. « La puissance de production de chaleur du tissu adipeux brun chez le rongeur ou le bébé humain est de l’ordre de 500 watts par kilo de graisse », détaille Daniel Ricquier, quand le métabolisme d’un corps entier adulte dégage 1200 watts ; on ignore la quantité de graisse brune présente chez l’adulte, mais « une petite quantité peut avoir des effets métaboliques significatifs ! »
La prévalence du syndrome métabolique est plus élevée chez ceux nés au printemps que chez ceux nés en automne.
Yoneshiro et al., Nature Metabolism
Cette plus grande activation de la graisse brune est associée à une réduction de l’IMC et du tour de taille, avec des bénéfices métaboliques en particulier chez les gens d’âge moyen à élevé. À l’appui de leurs résultats, les auteurs rappellent que des études épidémiologiques ont montré sur de grandes cohortes que « la prévalence du syndrome métabolique est plus élevée chez ceux nés au printemps (avec une conception en été) que chez ceux nés en automne (avec une conception en hiver) ». D’autres travaux plaident par ailleurs pour un rôle de la graisse brune dans la protection contre la résistance à l’insuline et les maladies cardio-vasculaires. « On est tenté, lorsque l’on voit ce type de résultat, de se dire qu’il vaut mieux vivre au froid et éviter les températures ambiantes élevées », glisse Daniel Ricquier. Un froid cependant très relatif : pour observer l’activation de la graisse brune chez les participants à leur étude, les chercheurs ont eu besoin de les exposer à une température de… 19 °C.
Marques épigénétiques
Comment le froid lors de la conception peut-il influer la quantité et l’activité de la graisse brune à l’âge adulte ? Des travaux menés chez la souris ont montré l’existence de mécanismes épigénétiques, rappelle dans un éditorial accompagnant l’article Raffaele Teperino, du Centre de recherche allemand pour la santé environnementale, à Neuherberg : l’exposition de souris mâles au froid « laisse un signal dans les spermatozoïdes », tandis que du côté de la mère des mécanismes très complexes, avec « des facteurs non liées aux cellules germinales, tels que les composants du liquide séminal », semblent contribuer. Les auteurs japonais précisent qu’ils ne sont pas en mesure de déterminer si ce qui compte chez l’être humain est, comme chez la souris, l’exposition au froid du père ou de la mère ; l’expérience est facile à réaliser chez la souris, mais on imagine mal des chercheurs séparer des parents humains au moment où ils conçoivent leur bébé…
Les auteurs précisent que l’exposition des volontaires à 19 °C pour observer l’activation de leur graisse brune est l’une des limites de leurs travaux : cette température pourrait être « insuffisante chez certains participants présentant une faible perception du froid, entraînant une faible activité de la graisse brune ». En outre, ils n’ont travaillé qu’avec des volontaires japonais ; des études sur d’autres ethnies et origines géographiques sont donc nécessaires, estiment-ils.
Mais ces travaux, insistent-ils, montrent qu’il faut creuser « l’hypothèse selon laquelle le réchauffement climatique pourrait contribuer (…) à la pandémie d’obésité en cours ». Et ils proposent d’aller au-delà du concept en vogue des « origines développementales de la santé et de la maladie », qui suggère que toutes les maladies non transmissibles développées par un individu au cours de sa vie étaient inscrites dans le fœtus qu’il a été. Les chercheurs japonais proposent, eux, de remonter plus loin encore : la santé d’un individu tout au long de sa vie serait écrite dans la façon dont vivaient ses parents avant même de le concevoir. Vertigineux…