Simone et Antoine Veil, une vie pour l’art aux enchères.
On connaît la vie publique de Simone et Antoine Veil, tous deux entrés pour l’éternité au Panthéon, en 2018. Mais peu, ou pas, la sphère privée qui les a conduits vers le chemin de l’art, à la rencontre des artistes de leur temps. C’est ce que Christie’s nous propose de découvrir, le 4 décembre, à Paris, à travers la dispersion d’une partie de leur collection venant de leur appartement, place Vauban, avec vue sur le dôme des Invalides. «Elle reflète les traits de caractère qui les ont animés : rigueur, humanisme et générosité, souligne la vice-présidente Victoire Gineste qui en fait l’inventaire. Le couple vivait avec l’art, simplement, entouré de leurs enfants, dans un univers au mobilier classique mais pas bourgeois, rempli de livres, de photos et de souvenirs intimes».
Mis en vente par la famille, l’ensemble comprend en majorité des toiles et œuvres sur papier - certaines signées Zao Wou-Ki, Maria Helena Vieira da Silva, Jean Paul Riopelle, Sam Szafran - ainsi que quelques pièces de Diego Giacometti dont le fameux Chat maître d’hôtel , un bronze de 1967, en couverture du catalogue. Le Tout est estimé entre 2 et 3 millions d’euros.
Antoine a été marié durant près de 67 ans (de 1946 à sa mort, en 2013) à Simone. Il l’épouse à 20 ans, elle en a 19, après l’avoir rencontré sur les bancs de Sciences-Po Paris, en 1945, à son retour des camps de concentration. À ceux qui lui posent la question, «êtes-vous le mari de Simone Veil», il s’amuse à répondre, «Non, Simone Veil est ma femme». « Avec intelligence, modestie et humilité, Antoine comprend qu'il est désormais un peu en retrait. Loin d'en concevoir une once de jalousie, de regret ou d'aigreur, il va aider, conseiller et protéger sa femme », souligne Philippe Labro, dans la préface du catalogue. Haut fonctionnaire, homme politique et grand patron, Antoine est toutefois un passionné de musique classique, pianiste à ses heures, avec un goût pour la culture au sens large.
Simone - cinquième femme à figurer sur la liste des grands hommes, pour sa défense des droits des femmes (l'adoption de la loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse, en 1974), de l'Europe (présidence du Parlement, en 1979) et de la mémoire de la déportation (elle a toujours refusé, jusqu’à sa mort en 2017, de porter uniquement cette étiquette) - avait quant à elle un penchant prononcé pour l’art moderne. «Lorsque j’étais membre du gouvernement, je disposais de peu de temps pour lire, et j’en souffrais. En revanche, j’avais pris l’habitude, avec une amie, d’aller voir des tableaux, le samedi matin, écrit-elle dans son autobiographie, Une vie, paru en 2007.
«Une complicité entre nous»
«Le hasard a voulu que je fasse la connaissance de Vieira da Silva [NDLR : deux œuvres dont une tempera sur papier, estimée 30 000-50 000 euros, sont au catalogue], poursuit-elle. Par la suite, je suis beaucoup sortie avec mon fils médecin qui lui aussi adorait la peinture [...]. Il s’était d’abord passionné pour les tableaux du XVIIe siècle qu’il aimait acheter à Drouot. Petit à petit, il s’est intéressé à des œuvres plus modernes et a même été plus loin que moi dans les contemporains. Comme nous étions sensibles aux mêmes toiles, nous arpentions ensemble les galeries et parfois, achetions pour l’un ou pour l’autre, une œuvre qui nous plaisait. C’était une manière de nous offrir des cadeaux mutuels, une complicité entre nous». Celle-ci prendra fin à la mort de Claude-Nicolas, âgé de 54 ans, le deuxième des trois fils, terrassé par une crise cardiaque, en 2002.
De leurs découvertes, ensemble ou séparément, il en résulte une belle collection d’une tonalité certes classique mais en résonnance avec son époque. Parmi les pièces mises en avant par Christie’s figurent deux Zao Wou-ki - un vase de fleurs, Sans titre, peint en 1949 (500 000 à 800 000 euros) et un paysage abstrait (300 000 à 500 000 euros) - et du mobilier signé Diego Giacometti - une table grecque carrée et table torsade, estimée chacune 200 000 à 300 000 euros-, auquel s’ajoute le Chat maître d’hôtel (100 000 à 150 000 euros) du même artiste.
Le reste est une succession de noms qui ont marqué le XXe siècle mais ne sont pas forcément les plus recherchés des amateurs d’aujourd’hui, à savoir Georges Valmier, Jean Hélion, Roger Bissière, Serge Charchoune, Maurice Estève, Charles Lapicque, Geer Van Velde ou Henri Michaux. Une peinture de Gilles Aillaud achetée à la Galerie de France qui fut la première à montrer l'artiste célébré en 2023 au Centre Pompidou (50 000 à 70 000 euros, une Marée basse vers de vase, 1987 ) ou une œuvre sur papier de Tom Wesselman, à l’honneur en ce moment à la Fondation Vuitton (30 000 à 50 000 euros, Study for bedroom blonde doodle, 1984), témoignent d’une plus grande audace . Le pedigree Veil est un gage de sérieux et de fraîcheur sur le marché. Il faut espérer qu’il aura un effet d’entraînement sur les plus petits lots moins au goût du jour...