Le branle-bas de combat est visible depuis l'espace. Début septembre, l'armée américaine a intensifié sa présence dans les Caraïbes et le Pacifique, officiellement pour lutter contre le trafic de drogue dans cette zone maritime. Après des semaines de mouvements militaires suspects, l'opération a finalement été annoncée par Pete Hegseth, ministre de la Défense américain, le 13 novembre sous le nom de "Southern Spear" ("Lance du Sud" en français).
Des avions de combat, des sous-marins et plus récemment des porte-avions ont été envoyés dans la région. Une base datant de la guerre froide est aussi en cours de réhabilitation. En marge de ce déploiement inédit depuis les années 1990, les Etats-Unis ont multiplié les frappes contre au moins 21 navires soupçonnés de transporter de la drogue, faisant plus de 80 morts et deux blessés au total.
Grâce à l'imagerie satellite, il est possible de saisir l'ampleur de cette mobilisation et même le type d'équipements déployés. C'est notamment le cas à Porto Rico et dans les Iles Vierges américaines, des territoires au statut particulier (mais très liés à Washington) et situés à quelques centaines de kilomètres du Venezuela. Car ce pays d'Amérique latine est, comme les trafiquants de drogue, dans le viseur du président américain, Donald Trump, qui laisse planer la menace d'une attaque contre le régime de Nicolas Maduro. Franceinfo vous propose un tour d'horizon des moyens militaires que les Etats-Unis ont déjà déployés dans cette zone.
Des bases militaires dépoussiérées à Porto Rico et sur l'île Sainte-Croix
A partir de la mi-septembre, plusieurs analystes ont repéré des travaux sur deux sites stratégiques pour les Etats-Unis dans la mer des Caraïbes. En épluchant les images satellite de Porto Rico d'abord, il est possible de voir que des rangées de tentes ont été dressées tout près de l'aérodrome Jose Aponte de la Torre, sur la pointe Est de l'île. Des aménagements qui montrent que les Etats-Unis s'intéressent de nouveau à ce site auparavant connu comme la base militaire Roosevelt Roads – très importante durant la guerre froide, mais fermée au début des années 2000, comme l'explique la marine américaine.
D'autres clichés de ce même site pris depuis l'espace montrent aussi qu'une piste est en cours de réfection tout près du terminal civil. La végétation a été éclaircie, le tarmac était en train d'être rafraîchi début novembre et du matériel militaire était progressivement entreposé sur cette portion. Pour l'heure, cette grande base navale et aérienne a surtout vu défiler des moyens de l'armée de l'air américaine, et notamment des avions de combat F-35, comme l'a relevé la chaîne CNN fin octobre. A cette dizaine d'aéronefs s'ajoutent des drones Reaper, postés dans un autre aéroport de l'île rattachée aux Etats-Unis, précise CNN, le tout accompagné de survols réguliers d'appareils dédiés au renseignement ou à la logistique militaire.
La base Roosevelt Roads, "totalement abandonnée depuis vingt ans", est ainsi devenue l'une des charnières du déploiement militaire américain dans les Caraïbes, avec "plus de 10 000 soldats qui ont été envoyés dans la région", a récemment décrit Tara Varma, chercheuse invitée à la Brookings Institution de Washington, le 7 novembre dans l'émission spécialisée "Le Collimateur".
Plus à l'est, sur l'île Sainte-Croix, qui fait partie des Iles Vierges américaines, les Etats-Unis ont aussi investi ces dernières semaines autour de l'aéroport Henry E. Rohlsen, un ancien site militaire qui servait jusqu'à présent pour des vols civils et commerciaux.
Directement sur le flanc ouest de l'aéroport, où se trouve une antenne de l'armée de l'air américaine, un radar militaire identifié comme un modèle AN/TPS-75 a été mis en service à la toute fin du mois d'octobre. Selon les communications de l'armée, ce système reposant sur une énorme plaque tournante permet "de couvrir une zone de plus de 200 miles nautiques [environ 370 kilomètres] dans toutes les directions" mais aussi "de détecter des aéronefs" jusqu'à 28 000 mètres d'altitude.
En marge de ces aménagements, de nombreux avions militaires américains ont transité par la zone des Caraïbes ces dernières semaines, dont d'énormes transporteurs Boeing C-17 Globemaster, pointe CNN, ou encore des avions d'attaque Ghostrider, comme l'a constaté l'agence Reuters.
Le plus grand porte-avions américain et d'autres navires de guerre dépêchés dans les Caraïbes
Ce déploiement inédit et déjà très médiatisé dans les Caraïbes a pris une autre tournure avec l'arrivée dans la zone de l'USS Gerald Ford, le plus massif et le plus avancé des porte-avions américains. Long de 333 mètres, capable d'embarquer plus de 4 000 hommes à son bord, ce navire peut aussi accueillir quatre escadrilles d'avions de combat et jusqu'à 90 aéronefs au total.
Aussi imposant soit-il, l'USS Gérald Ford est loin d'être venu seul dans la région. Accompagné par trois destroyers, il a été placé sous les ordres d'un commandement qui comptait déjà une dizaine de bâtiments de guerre, dont le navire d'assaut amphibie USS Iwo Jima, le croiseur USS Lake Erie ou encore la frégate USS Minneapolis-Saint-Paul, avec l'appui d'un sous-marin d'attaque à propulsion nucléaire, ont rapporté les chaînes CNN et PBS. L'un de ces navires, le très discret MV Ocean Trader, une base flottante pour les opérations spéciales, a été repéré par franceinfo alors qu'il était amarré, fin septembre, à une jetée normalement dévolue aux bateaux de croisière, dans la ville de Frederiksted (Iles Vierges américaines). Il a, depuis, été aperçu au large de Porto Rico, mais aussi en haute mer.
Tous ces moyens sont-ils réellement déployés pour lutter contre le trafic de drogue, comme l'assure le gouvernement américain, alors que le torchon brûle avec le Venezuela ? "La présence militaire dans les Caraïbes est trop importante pour se contenter de neutraliser quelques vedettes rapides, mais elle n'est pas suffisante pour une invasion du Venezuela", déclarait m-octobre à CNN Elliott Abrams, ancien envoyé spécial des Etats-Unis au Venezuela lors du premier mandat de Donald Trump. "Il s'agit, à mon avis, d'une campagne de pression visant à déstabiliser le Venezuela", jugeait-il alors.
Le Venezuela sur le qui-vive face à cette mobilisation
Après les frappes en mer, Donald Trump a assuré "ne rien exclure" dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue, y compris des attaques directement sur le sol vénézuélien. Le président américain accuse Nicolas Maduro, son homologue vénézuélien, d'être un dictateur doublé d'un "parrain de la drogue", selon des propos rapportés par France 24 . Le département de la Défense américain, renommé "département de la Guerre" sous la coupe du très controversé secrétaire Pete Hegseth, joue l'ambiguïté quant à une intervention militaire. Dernier exemple en date : la mise en avant, mercredi, d'exercices terrestres organisés à Porto Rico pour "dominer sur n'importe quel terrain".
"On voit un certain nombre de signaux qui sont assez inquiétants", notait début novembre la chercheuse Tara Varma au micro du "Collimateur", rappelant qu'"à la fois Pete Hegseth et Donald Trump ont évoqué l'idée de renverser le gouvernement de Nicolas Maduro", qu'ils accusent d'avoir volé l'élection présidentielle en juillet 2024. Renverser un gouvernement en Amérique du Sud, "ce ne serait pas étonnant, les Etats-Unis ont déjà fait ça, mais ce serait inhabituel", rappelait Tara Varma, soulignant aussi que cette idée divise jusque dans le camp de Donald Trump.
En réaction à cette mobilisation militaire tout près de son territoire, et aux diverses déclarations des Américains, le Venezuela cherche à renforcer son armée tout en jouant la carte de la diplomatie. Mercredi, le président Nicolas Maduro s'est dit prêt à échanger "en tête-à-tête" avec son homologue américain. Mais aucun rendez-vous n'a, à ce stade, été fixé.