Des avions-cargo chinois arrivés en Iran ? Attention à ces images de suivi aérien

Beaucoup de questions…et de confusion autour des outils de suivi du trafic aérien : depuis le 13 juin et le début de la guerre entre Israël et l'Iran, de nombreux internautes affirment que la Chine soutiendrait secrètement l'Iran sur le plan militaire, à partir d'images issues de l'outil Flightradar24, qui permet de suivre en direct des avions en vol.

Le 16 juin, le compte pro-iranien sur X SilencedSirs a notamment prétendu que "deux avions-cargos géants en provenance de Chine et à destination de l'Iran ont pénétré dans l'espace aérien iranien". 

La preuve selon lui : une vidéo, partagée dans son post vu plus de six millions de fois, réalisée par un supposé média intitulé Prime Scope et une capture d'écran du trajet d'un avion suivi par Flightradar24, censée montrer un de ces avions dans l'espace aérien iranien.

Captures d'écran de la vidéo du faux média Prime Scope. A droite, capture d'écran prise sur Flightradar24 montrant le trajet d'un vol, sous le nom "MNB1925", censé être en Iran.
Captures d'écran de la vidéo du faux média Prime Scope. A droite, capture d'écran prise sur Flightradar24 montrant le trajet d'un vol, sous le nom "MNB1925", censé être en Iran. © X / SilencedSirs

Depuis le 13 juin, de nombreux internautes ont également partagé d'autres images de FlightRadar censées montrer plusieurs trajets d'avions en provenance de Chine qui auraient discrètement pénétré en Iran.

Des captures d'écran de l'outil de suivi du trafic aérien partagées en ligne montreraient ainsi que différents vols de la compagnie aérienne cargo luxembourgeoise Cargolux, réalisés le 14, le 15 ou encore le 16 juin, seraient arrivés en Iran.

"La Chine envoie son premier convoi d'aide militaire en Iran - cargo inconnu", soutient notamment un internaute dans la nuit du 14 au 15 juin sur X, avec une capture d'écran dans laquelle on peut voir un vol de cette compagnie censé survoler l'Iran. Même chose le 16 juin avec un autre vol censé montrer un "avion cargo chinois arrivant à Téhéran" (voir ci-dessous).

Captures d'écran de l'outil Flightradar24 prises les 14 et 16 juin et censées montrer un avion volant en Iran. En haut, le vol représenté est le vol CLX9735. En bas est représenté le vol CLX9737.
Captures d'écran de l'outil Flightradar24 prises les 14 et 16 juin et censées montrer un avion volant en Iran. En haut, le vol représenté est le vol CLX9735. En bas est représenté le vol CLX9737. © X / Montage Les Observateurs

Une vidéo à l'origine très douteuse

Mais à ce jour, aucune des captures d'écran de Flightradar24 diffusée en ligne depuis le 13 juin ne montre des avions se diriger en Iran.

Tout d'abord, le numéro de vol "MNB1925" visible sur l'image diffusée dans la vidéo devenue virale correspond à la compagnie turque MNG Airlines, comme il est possible de le retrouver à partir de Flightradar24. En faisant une recherche à partir du nom de ce vol sur cet outil, on peut observer qu'aucun vol sous ce sigle n'a traversé l'Iran depuis le 13 juin. Seul un vol - celui utilisé dans la vidéo - est passé au nord de l'Iran depuis le Turkménistan. La carte utilisée dans la vidéo entretient la confusion notamment du fait qu’elle n’indique pas les frontières. 

L'origine de cette vidéo est également très douteuse : notre rédaction n'a retrouvé aucune trace en ligne d'un média intitulé Prime Scope, qui se définissait à la fin de la vidéo comme un média "sans filtre et sans biais". 

Des images qui ne montrent pas ces avions en Iran

Mais que disent les autres images d'avions qui semblent survoler l'Iran ? Trois vols ont particulièrement été scrutés par les internautes : les vols CLX9735, CLX9736 et CLX9737 de la compagnie aérienne Cargolux, tous les trois partis de Chine. Pour chacun de ces vols, des captures d'écran (comme celle visible ci-dessous) montrent un avion qui volerait au dessus du territoire iranien après être passé par le Turkménistan, au nord-est de l'Iran.

Mais en réalité, pour chacun des vols soupçonnés par les internautes, les visuels utilisés ne montrent pas de réelles trajectoires, mais uniquement des trajectoires "estimées" par l'outil Flightradar24, qui ne correspondent pas au chemin réellement emprunté par l'avion. 

Contactée par notre rédaction, Flightradar24 explique que les icônes d'avion qui semblent survoler l'Iran ne sont en effet que des "données d'estimation visibles lorsqu'un utilisateur clique sur un vol", pour donner une indication sur la direction vers laquelle l'avion devrait se diriger. "Les positions estimées sont signalées par la couleur noire de la traînée", décrit également Ian Petchenik, directeur de la communication de l'entreprise à notre rédaction. 

Dans les captures d'écran diffusées en ligne comme par le compte DD Geopolitics, on peut voir que la trace de l'avion (encadrée en rouge par nos soins), à l'origine de couleur violette, passe en pointillées noirs au moment où Flightradar24 perd la trace de l'avion.
Dans les captures d'écran diffusées en ligne comme par le compte DD Geopolitics, on peut voir que la trace de l'avion (encadrée en rouge par nos soins), à l'origine de couleur violette, passe en pointillées noirs au moment où Flightradar24 perd la trace de l'avion. © X / Montage Les Observateurs

Cette explication a également été donnée sur la page Facebook de Flightradar24 le 15 juin, rappelant que ce type d'estimation pouvait durer "jusqu'à 240 minutes" après la perte du signal.  

Dans un communiqué publié sur son site et sa page Facebook dès le 15 juin, l'entreprise luxembourgeoise Cargolux a de son côté affirmé "qu'aucun de ses vols [n'avait utilisé] l'espace aérien iranien". "Nos systèmes de suivi des vols fournissent des données en temps réel qui confirment qu'aucun vol n'a pénétré dans l'espace aérien iranien. Toute affirmation contraire est dénuée de tout fondement", a également déclaré la compagnie, critiquant des "données incorrectes" de la part d'outils publics, sans toutefois nommer Flightradar24 directement. 

Depuis le 13 juin, une note d'information de l'Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne (EASA) recommande par ailleurs aux compagnies aériennes de "ne pas opérer” dans l'espace aérien iranien (ainsi que de pays sur le trajet des missiles) et “à tous les niveaux de vol".  

"Comme l'horaire que nous recevons de Cargolux indique que le vol se dirige vers le Luxembourg, nous continuons à estimer la dernière altitude, la dernière vitesse et le dernier cap connus du vol, ce qui fait malheureusement passer l'avion par l'Iran au cours d'une période de couverture estimée", explique aussi Ian Petchenik, qui confirme qu'aucun de ces avions n'a survolé l'Iran. 

La Chine opposée aux attaques israéliennes sur l'Iran

Ces fausses affirmations circulent alors que la Chine a explicitement condamné les attaques israéliennes contre l'Iran, débutées le 13 décembre. 

"L’action militaire d’Israël contre l’Iran a provoqué une escalade soudaine des tensions au Moyen-Orient, ce qui inquiète profondément la Chine. Nous nous opposons à toute action qui porte atteinte à la souveraineté d’autres pays », a déclaré le président chinois Xi Jinping, lors d’une rencontre au Kazakhstan avec cinq pays d’Asie centrale le 17 juin

Le 14 juin, le ministre des affaires étrangères chinois Wang Yi, avait déjà exprimé son mécontentement auprès de son homologue israélien Gideon Saar, expliquant que "la communauté internationale cherche toujours une solution politique à la question nucléaire iranienne". Ce dernier avait auparavant appelé le ministre des affaires étrangères iranien Abbas Araghtchi, pour lui faire part du soutien de la Chine.

La Chine est pour l'Iran un allié diplomatique majeur, mais aussi un partenaire économique de poids, alors que 90% du pétrole brut iranien est exporté vers la Chine.

Un arrêt au Turkménistan pour "faire le plein"

Si le vol CLX9737 avait pour destination le Turkménistan, une question se pose toutefois lorsqu'on analyse les vols CLX9735 et CLX9736, censés être des directs entre la Chine et le Luxembourg, mais dont le suivi semble s'arrêter en plein milieu du Turkménistan lorsque l'on regarde l'historique de ces avions disponible sur le site de Flightradar24.

Vol CLX9735 entre Zhengzhou (Chine) et le Luxembourg. La carte ne montre pas la fin du trajet entre le Turkménistan et le Luxembourg, du fait d'une escale de ravitaillement selon Flightradar24.
Vol CLX9735 entre Zhengzhou (Chine) et le Luxembourg. La carte ne montre pas la fin du trajet entre le Turkménistan et le Luxembourg, du fait d'une escale de ravitaillement selon Flightradar24. © Flightradar24

Interrogé à ce sujet, Flightradar24 indique à notre rédaction que ce tracé partiel était lié à un manque d'informations sur les escales des vols de Cargolux, qui s'arrêtent régulièrement sur le trajet entre Chine et Luxembourg à Ashgabat, la capitale du Turkménistan. 

"Cargolux sait que ses avions vont s'arrêter à Ashgabat pour refaire le plein de l'avion, mais cet arrêt n'est pas indiqué dans les informations disponibles", explique Ian Petchenik. D'où l'impression en consultant Flightradar que ces trajets se sont terminés au Turkménistan, alors que leur destination était bien le Luxembourg.

Un autre site de suivi du trafic aérien, Flightaware, indique bien que ces deux vols se sont faits en deux étapes. Sur ce site, on retrouve en effet la trace de ces avions environ quatre heures plus tard après leur escale à Ashgabat. À chaque fois, on les retrouve à la frontière ouest du Turkménistan, en route vers le Luxembourg, sans passer par l'Iran.

Captures d'écran de l'outil FlightAware. A gauche, le trajet allant de Chine au Turkménistan, observé pour la dernière fois avant 8. A droite, le trajet allant du Turkménistan au Luxembourg. Environ quatre heures séparent ces deux trajets (voir horaires encadrés).
Captures d'écran de l'outil FlightAware. A gauche, le trajet allant de Chine au Turkménistan, observé pour la dernière fois avant 8. A droite, le trajet allant du Turkménistan au Luxembourg. Environ quatre heures séparent ces deux trajets (voir horaires encadrés). Flightaware

Une perte de signal explicable partiellement par l'altitude

Cependant, pourquoi observe-t-on, tant sur Flightradar24 que sur Flightaware, une perte de signal de ces trois vols à certains moments avant leur arrivée à l'aéroport d'Ashgabat?

Cette perte de signal, à l'origine des intox sur le sujet, serait liée à une mauvaise réception des signaux radio dans la zone à partir d'une certaine altitude dans cette zone montagneuse - 25000 pieds selon Flightradar24, soit près de 8 kilomètres de haut. 

"Les signaux radio nécessitent une ligne directe, donc plus l'altitude de l'avion est élevée, plus il est facile de voir le signal à partir d'une zone plus large. Au fur et à mesure que l'avion descend, la zone dans laquelle le récepteur peut voir l'avion se réduit", explique Ian Petchenik.

Il  explique toutefois que le signal est aussi dépendant d'autres facteurs, ce qui fait que certains avions sont mieux suivis. "La couverture est variable et les récepteurs peuvent se connecter et se déconnecter à tout moment pour diverses raisons". Dans sa publication sur Facebook, Flightradar24 avait également indiqué que le manque de données pouvait être lié au vol d'avions "dans des zones de brouillage GPS transmettent de mauvaises données ADS-B".