Présidentielle en Pologne : une ONG britannique accuse TikTok de favoriser les contenus d’extrême droite
Les accusations pleuvent contre l’algorithme de TikTok. Le 29 mai dernier, soit quatre jours avant le second tour de l’élection présidentielle en Pologne, l’ONG britannique Global Witness a publié une enquête affirmant que TikTok recommande un contenu biaisé en faveur de l’extrême droite aux utilisateurs polonais. Précisément, elle conclut que sur l’ensemble des publications consultées dont l’orientation politique est identifiable, les deux tiers (67%) font la promotion d’opinions ou de personnalités nationalistes ou d’extrême droite. L’écart est d’autant plus significatif dans le cas des publications faisant directement référence aux deux candidats en lice pour la présidentielle : Global Witness comptabilise ainsi cinq fois plus de publications soutenant le candidat d’extrême droite Karol Nawrocki, que de contenus soutenant le candidat centriste Rafal Trzaskowski.
Pour arriver à ces résultats, Global Witness a créé trois comptes TikTok sur des téléphones préalablement réinitialisés, basés à Varsovie. Les enquêteurs se sont ensuite abonnés au compte officiel des candidats à la présidentielle, et ont regardé du contenu pendant cinq minutes sur chacune des pages. «Nous voulions savoir ce à quoi un électeur indécis en Pologne pourrait être exposé s’il s’inscrivait sur TikTok en amont du second tour», expliquent les auteurs. Ils ont ensuite consulté l’onglet «Pour vous» de l’application pendant dix minutes sur les trois comptes, visionnant pendant trente secondes les contenus politiques et ignorant les autres contenus.
Un système de recommandation flou
Parmi les publications recommandées, les enquêteurs ont retenu 73 publications jugées politiques, qu’ils ont classées comme étant «de gauche», «centriste», «nationaliste» ou «d’extrême droite» avec l’aide d’un consultant polonais indépendant. Quatre publications n’ont pas pu être étiquetées. Sur 61 publications restantes, près de 44% exposaient des idées nationalistes et 23% d’extrême droite, soit 67% additionnés.
«Notre enquête ne prétend pas que les algorithmes de TikTok ont été délibérément conçus pour privilégier le contenu de droite par rapport à d’autres contenus politiques», précise Global Witness. Pour expliquer leurs résultats, les auteurs avancent plutôt l’idée que les contenus de droite sont plus susceptibles de susciter l’engagement des utilisateurs (likes, commentaires, etc.), car souvent plus clivants ou provocateurs que les contenus centristes. «La conception de l’algorithme TikTok peut servir de tremplin démesuré pour certaines opinions politiques, au détriment d’autres. (...) cela pose des risques pour le discours civique et la démocratie», alerte l’association.
Un fonctionnement de l’algorithme cryptique
Karolina Koc-Michalska, chercheuse en science politique, spécialisée sur l’opinion publique et les médias sociaux, ajoute que la «meilleure visibilité des contenus d’extrême droite ou populistes peut être due à la plus grande activité des utilisateurs appartenant à ces cercles (partis, candidats, influenceurs) sur les réseaux sociaux.» À noter cependant que le compte TikTok du candidat centriste Rafal Trzaskowski cumulait 12 000 abonnés de plus que son adversaire au moment de l’enquête.
Si TikTok indique sur son site que son système de recommandation analyse les comportements de l’utilisateur sur l’application (likes, commentaires, partages, temps de visionnage) pour s’adapter à ses préférences, le fonctionnement de l’algorithme reste pour autant cryptique. «La question de la transparence des algorithmes des plateformes sociales, pas seulement TikTok, est un problème important pour les gouvernements ainsi que pour les chercheurs», regrette Karolina Koc-Michalska. La Commission européenne a ouvert une enquête l’année dernière pour mieux comprendre le système de recommandation de TikTok. Global Witness prévoit d’ailleurs de soumettre les conclusions de son expérience en Pologne, ainsi que des résultats comparables en Allemagne, dans le cadre de cette enquête en cours.
Des conclusions «erronées» selon TikTok
Sollicité par Global Witness, TikTok estime que cette expérience est «peu scientifique, trompeuse, et que les conclusions tirées sont erronées.» La plateforme, qui se dit «engagée à faire respecter l’intégrité des élections». Elle explique qu’ignorer toutes les publications sans rapport avec la politique ne reflète pas le comportement habituel d’un utilisateur, et mène donc à des résultats biaisés. «Cette étude est méthodologiquement très faible, avec une taille d’échantillon extrêmement limitée», confirme Karolina Koc-Michalska. «Cela étant dit, cela ne signifie pas que les problématiques soulevées sont impossibles, mais leur vérification pose question.»
Contacté par Le Figaro, Global Witness se défend de ces critiques : «Nous avons eu des résultats similaires sur les trois comptes. Nous sommes donc confiants qu’ils sont représentatifs de l’algorithme de recommandation TikTok. Si on avait trouvé des résultats différents sur chacun des comptes, cela aurait valu le coup d’élargir l’échantillon, mais ce n’est pas le cas», justifie l’activiste Rosie Sharpe. Elle ajoute que l’ambition de Global Witness de publier leurs résultats durant l’entre-deux tours a obligé les enquêteurs à travailler dans un temps contraint.
Ce dimanche, le candidat d’extrême droite Karol Nawrocki a remporté l’élection présidentielle sur le fil du rasoir, avec 50,9% des voix. Au sein des jeunes Polonais de 18 à 29 ans, l’homme politique soutenu par le parti nationaliste PiS a séduit 53% des électeurs. Si la chercheuse Karolina Koc-Michalska rappelle qu’il est «difficile, voire impossible, d’isoler l’impact d’un média ou d’une plateforme» sur le résultat d’une élection, l’influence de TikTok ne fait aucun doute pour l’activiste Rosie Sharpe. «Les gens s’informent de plus en plus via les réseaux sociaux. On peut aisément imaginer que leurs opinions politiques sont façonnées par ce qu’ils voient en ligne», martèle-t-elle.