Lyon veut ouvrir Perrache, la «verrue» de la Presqu’île coincée dans les années 70

Les premiers coups de marteau ont commencé à résonner cette semaine au cœur de la Presqu’île de Lyon. Perchée au-dessus des trémies du cours de Verdun et du tunnel de Fourvière qui fourmille de ses vacanciers en transit, la passerelle du centre d’échange de Perrache va être démontée. Il s’agit de la première phase visible du grand projet de réaménagement urbain de ce blockhaus brutaliste et fonctionnel abritant un nœud intermodal de métro, tram, bus, car et stationnement. «Une verrue» posée à équidistance de l’hôtel de ville et de la pointe de la confluence, qui va être gommée du paysage et ouverte en une «fenêtre urbaine» de 12 mètres de haut. Une trouée Nord-Sud allant de la place Carnot au fronton de la gare.

Le bâti a fait son temps, l’architecture coincée dans les années 1970 aussi. La proposition de l’architecte Dietmar Feichtinger et des aménageurs Apsys, Quartus vise à reconnecter le nord et le sud de la presqu’île cisaillée par cette vilaine balafre. Le projet avait été validé lors du précédant mandat par les équipes centristes de Gérard Collomb - Georges Képénékian à la ville et David Kimelfeld à la métropole. Il veut redonner de la perspective avec ce cube moderne et végétalisé en intégrant un espace de «logistique du dernier kilomètre». Pas suffisant pour effacer la cicatrice originelle du quartier, coupé depuis 1856 par les voies de chemin de fer de la gare de Perrache.

La métropole prévoit un doublement de voyageur en transit sur ce nœud de transport (métro, tram, bus) d’ici 2030 avec 200.000 voyageurs par jour. FlickR/Fred Romero

«De l’autre côté des voûtes»

C’est Antonin Perrache, qui, face à la pression foncière en Presqu’île au milieu d’un XVIIe siècle où Lyon recense 140.000 habitants, avait obtenu par lettres patentes le droit d’assécher les marécages du confluent entre Rhône et Saône pour gagner tout un quartier au sud. Les travaux devaient être rentabilisés par la construction d’immeubles de standing vers la confluence, déjà, et l’exploitation de moulins sur un canal. «Mais il s’était trompé dans ses calculs de courants, raconte Louis Faivre D’Arcier, aujourd’hui à la tête des archives municipales dans ce quartier. Les moulins n’ont jamais fonctionné et sa société a fini par couler».

Des voies de circulation sont néanmoins ouvertes vers le sud. Elles perdureront, à travers des voûtes de pierres permettant de passer de chaque côté de cette Presqu’île. Des industriels en profitent pour s’installer, comme cette manufacture de chocolat qui casse ses fèves de cacao en bord de Rhône. «Mais c’est après le consulat que la ville reprend le projet à son compte et y implante des industries ainsi que les activités que l’on ne voulait pas voir, comme les abattoirs, une usine à gaz ou encore la prison», poursuit Louis Faivre D’Arcier.

La gare Perrache à la Belle Epoque, bien avant l’arrivée de l’autoroute et du centre d’échange, avec une perspective Est-Ouest dégagée. Bibliothèque municipale de Lyon

L’arrivée de la gare au milieu du XVIIIe continue de partitionner la presqu’île. «C’est une zone pensée comme marginale, un peu comme Gerland de l’autre côté du Rhône, explique l’archiviste. Cette espèce de coupure va caractériser le quartier jusqu'à nos jours. Il restera un quartier peu recommandable». L’arrivée de l’autoroute voulue par Louis Pradel creusera un peu plus la balafre durant les Trente Glorieuses en y apposant la fameuse verrue. «Il y avait le marché gare, il y avait des jolies femmes. Quand j’étais petit mes, parents me disaient de ne pas aller de l’autre côté des voûtes, illustre Georges Képénékian. Notre idée était de réunir les deux presqu’îles par-delà ce mur entre la ville centre et ce qui était de l’autre côté des voûtes».

Ouvrons Perrache

La transformation de ce quartier brumeux des années 1970, territoire interlope des voyous lyonnais, des prostitués et des policiers avait été amorcée par l’installation des archives, décidée par Raymond Barre, en 2001. «Au début les gens venaient aux inaugurations d’exposition la peur au ventre le soir», raconte Louis Faivre D’Arcier. Le déménagement de l’ancienne prison Saint-Paul a permis la réhabilitation éclatante du bâtiment de l’Université catholique. Tandis que les tramways ont progressivement remplacé les camionnettes de prostituées au fil des mandats de Gérard Collomb.

Accompagnés d’une fresque monumentale, quatre mètres de piste cyclable et 3,5 de trottoir souterrains permettent depuis 2021 de traverser le centre d’échange. Wikimedia/Pemberlaid

La création du quartier de la Confluence au cours des années 2010 a achevé de notabiliser ce sud du 2e arrondissement. Quelque 12.000 habitants y vivent aujourd’hui, reliés à Gerland par le tram au sud. Au nord, une voûte a déjà été réaménagée par les écologistes en début de mandat pour la dédier aux mobilités douces, offrant une première possibilité de jonction souterraine. La seconde reste dédiée aux trams.

En sous-sol, le projet «Ouvrons Perrache» ne change rien, ou presque. La galerie du métro reste intégrée sous la rampe d’accès vers l’arche de surface. Et pour cause, la métropole prévoit un doublement de voyageur en transit sur ce nœud de transport d’ici 2030 avec 200.000 voyageurs jour. Seule la gare routière sera déplacée. À l’étage inférieur, les six trémies autoroutières empruntées par 100.000 véhicules quotidiens ne bougeront pas. «Nous avions fait plusieurs études pour voir si on pouvait le faire sauter, mais il faudrait une bombe atomique, c’est indémontable, rejoue George Képénékian. Il y a du béton armé, de l’amiante. On a donc décidé de fendre la verrue pour avoir une continuité.»

Sous le centre d’échange passent six trémies autoroutières qui ne seront pas touchées, pas plus que les voies de trams et métro. Métropole de Lyon

Pas assez ambitieux pour le maire LR du 2e arrondissement, Pierre Oliver. «J’étais favorable à un projet de halles, regrette-t-il. On aurait pu en faire le Châtelet de Lyon, mais c’est une occasion manquée. «C’est un projet minimaliste», abonde Denis Broliquier, son prédécesseur UDI, déplorant la concurrence apportée aux commerces de centre-ville par la nouvelle galerie commerciale octroyée au concessionnaire.