Réindustrialisation : "On a pris la décision, pour tous les prochains projets en France, de choisir des endroits où on est certain d'être bien accueillis", dit le DG de Safran

Le Salon aéronautique du Bourget ouvre ses portes au public, vendredi 20 juin. C'est aussi le jour de la visite du président de la République Emmanuel Macron, qui s'est notamment rendu au stand de Safran, fabricant de moteurs d'avions. Olivier Andriès est le directeur général de ce fleuron de l'aéronautique tricolore. 

franceinfo : La moitié de vos 100 000 salariés sont en France, avec une centaine de sites. Et vous avez prévu une nouvelle fonderie à Rennes. Prévu depuis un an, ce projet a été critiqué par les écologistes, ce qui vous a valu d'élever la voix devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les freins à la réindustrialisation. "Si c'est pour se faire accueillir, dans une région où l'on crée 500 emplois, par des tomates, ce n'est pas la peine", avez-vous dit

Olivier Andriès : On avait un projet, qu'on a toujours et je pense que dans les prochaines semaines, on va inaugurer la première pierre de ce projet. C'est un projet de création de 500 emplois, pour fabriquer des pièces de moteurs d'avions civils et militaires. C'est un projet aussi de souveraineté et c'est un projet de création d'emplois, dans un domaine technologique et d'avenir. En plus, en respectant les critères de zéro artificialisation nette, puisqu'on s'installe sur un ancien site de Stellantis.

Vous n'avez pas renoncé à ce projet, mais vous êtes quand même profondément agacé ?

Pas du tout. Je dois signaler quand même que ce projet, on en a parlé avec la maire de Rennes, avec le Conseil régional de Bretagne. Et on a eu une très, très bonne collaboration. Et quand ce projet a été rendu public, il y a eu des déclarations et des manifestations des écologistes, qui font partie de la majorité municipale à Rennes, protestant contre notre arrivée à Rennes. Et là, je ne comprends pas parce que quelque part, c'est un peu de l'égoïsme, dans la mesure où c'est un projet qui crée 500 emplois. Donc effectivement, j'ai dit ce que j'ai dit dans le cadre de la commission d'enquête, puisque ça portait sur les freins à la réindustrialisation.

"Vous comprendrez qu'il est normal que vous cherchez à vous installer dans des endroits où vous êtes bien accueillis. C'est humain."

Olivier Andriès, directeur général de Safran

à franceinfo

Ça veut dire qu'on vous y reprendra plus ?

Ça veut dire que nous, on a pris la décision, pour tous les prochains projets que l'on pourrait avoir de créations d'emplois en France, de choisir des endroits où on est certain d'être bien accueillis. C'est tout.

Est-ce que cette année, plus que jamais, le rendez-vous du Bourget est placé sous le signe de la défense, en raison du contexte géopolitique ?

Absolument. Ce salon est vraiment placé sous le signe de la défense. Mais tout d'abord, il a été marqué par un événement tragique, en Inde, avec le crash d'Air India. C'était un avion de Boeing, qui a souhaité rester relativement discret pendant ce salon et ne pas annoncer de commandes d'avions commerciaux. Ce n'est pas habituel parce que généralement, les salons du Bourget voient toujours une course entre les deux grands avionneurs sur les annonces de commandes. En plus de cela, comme vous l'avez dit, le contexte géopolitique fait qu'effectivement, cette semaine, ça a été plutôt un salon orienté sur les activités de défense.

Pour Safran, les commandes dans le domaine de la défense portent sur quoi ?

Les activités de défense représentent 20% du chiffre d'affaires total de Safran. C'est pour l'essentiel des activités de moteurs d'avions de combat et de moteurs d'avions de transport militaire. Donc c'est le moteur du Rafale, évidemment, les moteurs d'hélicoptères militaires, mais nous avons également des activités d'électronique de défense. Avec des activités dans le domaine de l'optronique, de la navigation, de ce qu'on appelle le guidage. Et donc, le salon a été l'occasion non pas forcément d'annoncer de grandes commandes, mais l'occasion de nourrir un dialogue avec beaucoup d'acteurs européens dans ce domaine. 

"Ce qui m'a marqué dans ce salon, c'est que les acteurs européens de la défense prennent tous conscience du contexte et du besoin de plus grande autonomie."

Olivier Andriès

à franceinfo

En parallèle, Safran est en train de monter une filiale spécifique consacrée à la défense aux Etats-Unis. Pourquoi ?

Absolument. On y a déjà un certain nombre d'activités, on a ce qu'on appelle une empreinte industrielle aux Etats-Unis. Notamment du fait de nos activités civiles, on a des clients américains, nous sommes à la fois fournisseur et partenaire de Boeing, et fournisseur et partenaire d'Airbus. Et nous avons pris la décision de créer une entité spécifique - Safran Defence and Space Inc - qui est sous un régime de sécurité particulier - un "special security agreement" - qui nous permet d'avoir accès aux marchés militaires américains, d'avoir un accès directement au Pentagone, ou de pouvoir travailler sur des marchés de défense avec des avionneurs américains.

La filiale a été créée, elle a été annoncée il y a un an. Elle fonctionne. On a déjà quelques centaines de millions d'euros de chiffre d'affaires avec le ministère de la Défense américain. Alors, dans le cadre de cet accord de sécurité particulière, cette entité est gérée et pilotée par des citoyens américains.

L'Amérique du Nord, aujourd'hui, c'est 25% de vos effectifs et un de votre produit phare, c'est le moteur Leap, co-fabriqué avec l'Américain General Electric. Est-ce que la mise en place de droits de douane par Donald Trump a modifié vos ambitions, vos projets ou vos chaînes de valeur ?

Alors, ça ne modifie absolument pas nos ambitions. Avec ce moteur, nous sommes à la fois partenaires d'Airbus - puisque ce moteur est une solution de motorisation de l'A320 Neo - et de Boeing, sur le 737 Max. Donc ça ne change pas nos ambitions.

Est-ce que ça change les prix ?

C'est un moteur transatlantique, avec la moitié de son contenu américain, l'autre moitié de son contenu français. Et que donc nos flux de ce qu'on appelle nos chaînes de valeur sont très internationaux et très transatlantiques. Donc évidemment, on est impacté par les tarifs qui ont été mis en place par l'administration américaine, de l'ordre de 10%, avec une menace de hausse au cas où il n'y aurait pas d'accord entre l'Europe et les Etats-Unis. Ce contexte-là nous a amenés à prendre tout un tas de décisions, d'optimisation de nos chaînes de valeur. On a pu optimiser nos flux logistiques pour essayer d'éviter de payer des tarifs. Il reste quand même une exposition nette, notamment quand on livre à des clients américains. Dans ce cas-là, on n'a pas d'autre choix que d'engager une discussion avec nos clients pour qu'ils prennent une partie voire l'essentiel de cet impact tarifaire, parce que fondamentalement, c'est une augmentation de coûts.

"Les taxes de douane à +10%, ce n'est pas anodin. C'est plus que ce qu'on consacre pour la préparation de l'avenir. C'est pour ça que ça ne peut pas durer."

Olivier Andriès

à franceinfo

Donc nous militons, avec Airbus, mais c'est également vrai de nos partenaires américains et de nos clients américains, pour qu'on revienne à une situation d'exemption de tarifs pour l'industrie aéronautique. Parce que l'industrie aéronautique est une industrie internationale, avec des chaînes de valeur internationales, sans possibilité de changer du jour au lendemain de fournisseur. Parce que notre priorité à tous, c'est la sécurité des vols. Et donc toutes les pièces subissent tout un processus de qualification et donc changer du jour au lendemain de fournisseur, c'est quelque chose qui n'est pas possible.