Salon de l’agriculture : un an après la crise, le désarroi et la colère sourde des agriculteurs

Problèmes financiers, propagation de maladies dans les élevages, lourdeurs administratives… Ces difficultés sont toujours bien présentes pour les participants du Salon international de l’agriculture, dont la 61e édition se tient à Paris depuis le samedi 22 février, toutefois loin du climat chahuté de l'année précédente.

Malgré les réponses apportées par le gouvernement dans la loi d’orientation agricole, adoptée in extremis avant le Salon, les difficultés exprimées lors de la crise agricole de l'hiver 2024 restent les mêmes. Dans le tohu-bohu des 210 000 m2 du Parc des expositions de la porte de Versailles, et parmi les 1 000 exposants venus de part et d’autre de la France et du monde entier, France 24 est partie à la rencontre d'agriculteurs, qui livrent leur détresse et leur colère, un an après la crise.

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"Comptable, gestionnaire et éleveur" à la fois

Nicolas Aubailly, 46 ans, est éleveur de brebis, vaches et moutons à Charly, en région Centre-Val de Loire, et président du syndicat de la race de mouton Berrichon du Cher. Récompensé de nombreux prix, implanté dans la profession depuis toujours, l’agriculteur - de père en fils - relate “un métier où ne compte pas les imprévus”.

La propagation de la fièvre catarrhale ovine (FCO), dite aussi “maladie de la langue bleue”, en août dernier, en est un exemple criant. “Nous avons eu énormément de pertes de moutons, s’ajoute à cela des césariennes et des vêlages qui se sont très mal passés”, explique-t-il.

De plus, l’éleveur ne compte pas ses heures. “Les bêtes prennent tout votre temps et votre énergie. Ma femme dit que je ne pars pas suffisamment en vacances. Je prends une semaine au mois d’août pour déconnecter”, précise-t-il. Niveau revendications, ce syndiqué  - “pas très actif” - à la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) déplore un manque de prise en considération par les politiques.

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“Les charges ont augmenté”, se désole-t-il, avant de souligner que l’agriculteur en 2025 se doit d’être “multicarte”, puisqu’en fin de compte il “est éleveur, comptable, gestionnaire d'exploitation” et tout cela, dans “une journée de 24 heures”.

Si certaines “aides sont fournies par la PAC", la Politique agricole commune de l'Union européenne, il ressent la multiplication “des contrôles inopinés” comme “une épée de Damoclès” au-dessus de la tête, alors que les agriculteurs “essayent de faire leur travail correctement, et de bien traiter les bêtes”. Finalement, Nicolas Aubailly décrit “un triste essoufflement dans le milieu, où les gens sont fatigués de se révolter”.

"Au fond rien n'a changé"

Éleveur laitier dans le département de l'Aisne (Hauts-de-France), président de la marque FaireFrance depuis maintenant dix ans, Jean-Luc Pruvot rappelle “la douloureuse crise laitière” qui a bouleversé la France en 2009, où “le prix du lait est descendu très bas” et ce en partie à cause des “industriels”.

Selon lui, si l’industrie du lait française en 2025 “n’est pas si pire”, les “éleveurs restent la dernière roue du carrosse”, puisque les grandes compagnies “se servent grassement avant sur la production”. Par ailleurs, il déplore “une augmentation massive des charges : matériel qui doit être conforme aux normes, main d'œuvre onéreuse, gestion administrative...” qui fait que “certains agriculteurs n’arrivent pas à se tirer des salaires certains mois”. 

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À tel point que dans son petit village, “en 30 ans, 20 fermes laitières ont fermé boutique, nous sommes plus que 5 aujourd’hui”, regrette-t-il. Au-delà de ces difficultés financières, il décrit la pénibilité d’un travail qui “entre la traite du matin, du soir, l’alimentation des veaux, le paillage, les soins aux animaux malades, et la moisson” ne laisse pas le temps de développer d’autres activités.

“Au fond, les gouvernements s’enchaînent tellement que depuis l’année dernière, rien n’a changé”, conclut-il. 

"Le dérèglement climatique angoisse"

Entre la baisse de la consommation de vin, des normes de plus en plus complexes et coûteuses - notamment en matière de traitements phytosanitaires et d’étiquetage - et la crise climatique… Le secteur de la viticulture n'est pas épargné, selon le syndicat Coordination Rurale.

Dominique Lacoste et Fabrice Fort sont vignerons et producteurs de quatre appellations - AOC Madiran, l'AOC Pacherenc du Vic-Bilh, L'AOC Saint-Mont, l'IGP Côtes de Gascogne - dans le sud de la France. Ils décrivent des difficultés face aux changements de températures, “d’une année à l’autre” avec par exemple, “en 2023, une grande sécheresse qui a généré des brûlures, sur les baies et sur les raisins engendrant une perte d'environ 30 à 40 % des fruits.”

Cette situation provoque “une vive angoisse” pour l’avenir, puisque “certains politiques ignorent le changement des températures” qui aura un impact sur “toutes les cultures”. Le problème majeur pour ces viticulteurs est donc de trouver “des assurances” qui acceptent de les “protéger” face à ces aléas. “Nous avons le sentiment d’être lâchés par toutes les compagnies d’assurances”, puisque finalement “plus grand monde n’est intéressé pour aider la viticulture”.

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